Page:Ribot - La Philosophie de Schopenhauer, 1874.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont raconté l’un et l’autre leur entrevue. Il nous serait impossible ici de parler longuement de l’homme ; nous aurions d’ailleurs le désavantage de ne pouvoir le faire d’après des impressions personnelles : et nous ne voulons pas encourir le reproche que Schopenhauer adresse à ceux qui s’attardent à la biographie d’un philosophe. Il les comparait aux gens qui, placés devant un tableau, s’occupent surtout du cadre et de la dorure. Renvoyons donc aux écrivains cités ceux qui voudraient plus de détails, pour ne dire ici de l’homme que ce qui est nécessaire pour comprendre le philosophe.

Arthur Schopenhauer est né à Dantzig, le 22 février 1788. Son père, riche et d’origine patricienne, était l’un des principaux négociants de cette ville. C’était un homme d’un caractère énergique, obstiné, actif, d’une grande aptitude pour le commerce. Doué dans la vie ordinaire, d’une gaieté humoristique, il menait un grand train de maison, dépensant beaucoup en tableaux, en objets précieux, en livres, surtout en voyages. A l’âge de trente-huit ans, il épousa une fille du conseiller Trosiener, alors âgée de dix-huit ans. A. Feuerbach qui la connut plus tard, la juge en ces mots : « Elle bavarde beaucoup et bien ; intelligente, sans cœur ni âme. » Ce fut un mariage de raison ; de part et d’autre le sentiment n’y entra pour rien. Le fils qui naquit de cette union reçut le nom d’Arthur qui étant le même dans toutes les langues, disait son père, est excellent pour entrer dans une raison de commerce. Le jeune Arthur vécut cinq ans dans sa ville natale. En 1793, Dantzig ayant cessé d’être une ville libre, la famille de Schopenhauer, dont les armes portaient comme devise « Point d’honneur sans liberté, » se retira à Hambourg. Elle y resta douze ans. Pendant ce temps, Schopenhauer voyagea beaucoup. Dans sa neuvième année, il fut conduit au Havre par son père qui le laissa deux ans chez un négociant de ses amis.