Page:Rey - La théorie de la physique chez les physiciens contemporains, 1907.djvu/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
55
LA CRITIQUE DU MÉCANISME : L’ATTITUDE HOSTILE.

voir qu’on changeait de méthode, qu’on tournait le dos à celle qui avait si bien réussi en mécanique, pour suivre, au contraire, l’autre méthode : la méthode hypothétique. On a imaginé une constitution des phénomènes physiques, qui n’est pas donnée dans l’expérience sensible. Cette constitution, on l’a figurée d’après les propriétés des phénomènes mécaniques. Autrement dit, on a modifié les définitions et les lois des classes de phénomènes étudiés par la mécanique, pour énoncer les définitions et les lois fondamentales des classes de phénomènes étudiés par la physique, de façon à ce que les conséquences des définitions et des lois ainsi posées coïncidassent avec l’expérience. Rankine ne met d’ailleurs pas en doute qu’on y soit parvenu fidèlement. On a élaboré une représentation des phénomènes physiques en termes mécaniques ; on a pour cela supposé des corps, des mouvements et des forces invisibles, que les sens ne peuvent percevoir, et que l’expérience ne révèle en aucune manière[1].

Il y a eu à cela des avantages indéniables : le champ scientifique a acquis plus d’unité, le nombre des principes a été réduit au minimum. Des lois ont pu être prévues par simple déduction, qui, ensuite, furent vérifiées par l’observation. Mais il reste un inconvénient grave : cette hypothèse n’atteindra jamais la certitude des faits observés. Conjecturer des corps, des mouvements, des forces invisibles, si commodes, si utiles, si fructueux que cela puisse être, ne vaudra jamais, en matière de savoir, la constatation de propriétés données dans l’expérience. La vertu théorétique et explicative du premier processus est raisonnablement inférieure au second[2].

Il y a du reste un danger sérieux dans toute application de la méthode hypothétique. On y doit toujours marquer que la certitude n’y saurait être complète. Mais cette précaution est la plupart du temps négligée. On prend de bonne foi l’habitude d’expliquer, par l’hypolhèse universellement admise, avec autant de dogmatisme que si l’on se bornait

  1. Id., § 4, p. 383.
  2. Id., § 5, p. 383.