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L’ANALYSE DES DOCTRINES.

sinée. On croit qu’elle est assise désormais sur des bases inébranlables ; et je me suis servi des opinions d’Auguste Comte, parce que sa philosophie relativiste et sa crainte des hypothèses trop hasardées dans le champ des sciences physiques, accusent encore la très grande généralité de cette opinion. On sait, d’autre part, que Comte, quoiqu’on ait peut-être exagéré son manque d’érudition quant aux transformations contemporaines de la science, résume surtout, dans son cours de philosophie positive, l’opinion moyenne, traditionnelle, courante dans le monde scientifique[1].

Une mécanique définitive, la mécanique analytique de Lagrange, une physique construite tout entière sur cette mécanique, voilà, en quelques mots, la conception que l’on croit alors ne pouvoir plus être considérée que sub specie æterni, dans le domaine des sciences de la nature. Cette opinion avait été préparée par des opinions analogues au sujet de la physique cartésienne et au sujet de la physique de Newton (Kant considère constamment celle-ci comme la physique, de même que la géométrie d’Euclide est la géométrie). La physique du mécanisme traditionnel était, en effet, l’achèvement et la résultante de l’évolution de la physique dans les deux siècles précédents.

Il y avait eu progrès ; il ne semblait pas y avoir eu lacune. Les physiciens recueillaient et condensaient tous les résultats de leurs prédécesseurs dans une œuvre simple, élégante, harmonieuse. Elle était la continuation logique de tous les travaux entrepris depuis Galilée, et par delà Galilée, depuis Archimède : à travers la mécanique rationnelle et la cinématique, elle se reliait même à la belle ordonnance de la géométrie. Rien ne semblait devoir rompre ce mouvement uniformément accéléré dans la même direction depuis des siècles. La science avait trouvé la seule explication possible des phénomènes naturels. Et cette explication était bien une explication au sens total du mot. La mécanique supposait des éléments : les points matériels, et

  1. Voir à ce sujet A. Tannery, Aug. Comte, historien des sciences, 1905.