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CONSÉQUENCES PHILOSOPHIQUES.

duit commun à toutes les sociétés humaines dès qu’elles sont suffisamment intellectuelles. Elle est une œuvre de l’humanité. Bacon a dit que l’art, « c’est l’homme ajouté à la nature ». Ainsi traduite, l’expression est fausse, ce n’est pas l’homme, c’est l’individu, c’est un homme ajouté à la nature. L’art, c’est la nature vue à travers un tempérament, un génie irréductiblement original. Mais la formule de Bacon pourrait parfaitement convenir à la science, en prenant le sujet de sa proposition dans toute sa généralité. La science, c’est l’homme ajouté à la nature ; c’est la nature universelle vue à travers la nature humaine : c’est ce à quoi tous les hommes doivent identiquement arriver lorsqu’ils s’efforcent de donner à leur connaissance le plus de certitude et le plus d’exactitude possible.

Il résulte de là que la structure psychologique de l’homme, que l’exercice de ses fonctions cognitives doivent laisser dans la science une trace indélébile. Celle-ci porte la marque de la fabrication humaine. L’intervention de l’ouvrier, quel que soit son désir de s’effacer, de réfléchir plutôt que de réfracter et de déformer, y sera à jamais discernable. Seulement, ce n’est pas l’intervention de tel ouvrier particulier qu’on sera amené à constater, sauf dans des cas exceptionnels et pour des nuances que le temps et les progrès de la science feront toujours disparaître. C’est le label du travail humain et non la signature d’un individu, que la critique verra dans toute œuvre scientifique.

11. — Tout ce qui précède aboutit à cette conclusion : Rien n’autorise à considérer la physique actuelle comme un exemple de spéculations arbitraires, ou comme une simple juxtaposition de règles techniques. Rien n’autorise à lui enlever sa valeur théorique, sa valeur de savoir. La crise qu’elle traverserait et qui se serait déjà dénouée par une faillite officielle a existé peut-être dans l’imagination des littérateurs et des polémistes. Il semble impossible de trouver à cette thèse un fondement sérieux dans les idées que les physiciens se font de leur science et des résultats qu’ils obtiennent ; et à qui s’adresser, sinon aux physiciens pour