de la compréhension, la science est vraiment l’œuvre de la raison ; elle est rationnelle dans ses moindres parties, parce qu’elle vise toujours à la nécessité et qu’elle ne vise qu’à cela. Elle se désintéresse en elle-même de toute utilisation pratique. Elle la laisse aux différentes techniques qui se greffent sur elle. Elle résorbe toujours enfin dans une œuvre plus haute, les originalités individuelles qui n’ont été pour elle qu’une aide provisoire. La parole de Claude Bernard reste vraie : « Si l’art c’est moi, la science c’est nous. »
10. — La science, c’est nous : cette formule donne le sentiment très net de l’objectivité de la science, objectivité faite de nécessité et d’universalité. La science, c’est ce que nous tous, nous connaissons, ce qui ne dépend pas de mon goût, de ma tournure d’esprit, de ma volonté, de mon arbitraire, mais bien des conditions communes de toutes nos intelligences : des conditions humainement nécessaires, et humainement universelles, de la connaissance. Cet anthropomorphisme ne peut être évité ; mais il suffit de marquer qu’ainsi entendu, il est l’antithèse de l’anthropomorphisme dans son sens usuel. La science, c’est notre mesure des choses, mais ce n’est pas la mesure que chaque homme ou chaque tendance d’esprit, ou chaque société imagine se faire des choses : ce qui est le sens ordinaire du mot anthropomorphisme. Il faut prendre le terme ἄνθρωπος, non pour désigner l’espèce ou l’individu, mais le genre, si l’on veut que la qualification d’anthropomorphique s’applique encore à la science. Elle est synonyme alors de conception nécessaire et universelle pour tout ce qui appartient au genre humain. Et à moins d’entrer dans le domaine d’un mysticisme qui n’a aucun titre à imposer ses conclusions, quel sens les mots « nécessaire et universel » peuvent-ils avoir pour un homme, sinon ce qui s’impose à tous les êtres que leurs caractères essentiels permettent de désigner de ce nom ?
Mais par là même, on voit la part de subjectivité qui entre dans l’objectivité de la science. Il est exact qu’elle est une création de l’homme, un instinct de l’espèce, un pro-
