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LA VALEUR DE LA PHYSIQUE.

Les uns ont une difficulté considérable à se représenter des images ; ils se meuvent, au contraire, avec facilité dans les idées générales. Ils ont donc une tendance à abstraire toujours le plus qu’ils peuvent, à tout ramener à des notions conceptuelles et à l’enchaînement logique. Ils élimineront ou croiront avoir éliminé tous les résidus de l’intuition. Les autres, au contraire, ne peuvent pas concevoir clairement des formules aussi abstraites ; ils ont besoin d’emprunter toujours à l’intuition concrète des éléments figurés qui leur rappellent les objets tels qu’ils les perçoivent. Ils ne peuvent ni penser sans image, ni enchaîner des idées sans associer entre elles des images. Ils ont nécessairement moins de rigueur logique que les premiers et ils tiennent moins à la rigueur parfaite ; mais ils ont, d’autre part, un sens beaucoup plus vif du concret, ils voient mieux les nuances. Ils se contentent moins facilement d’idées générales et veulent pénétrer dans la nature même des choses, toujours plus avant.

Cette remarque que Duhem a le premier formulée avec précision en appelle, à mon avis, une autre : les deux genres d’imagination sont également utiles, nécessaires à la science physique, peut-être à la science en général, car chacun est plus spécialement apte à un côté particulier de la tâche scientifique. Les esprits abstraits sont mieux faits pour ordonner ce qui a déjà été acquis, les connaissances bien établies ; ils revêtent la science de sa rigueur logique et de son exactitude rationnelle. Les seconds sont, au contraire, mieux faits pour découvrir ; c’est à eux surtout, et l’histoire des sciences le confirmerait facilement, que nous devons la plupart des choses que nous avons apprises. On voit de suite que les théories énergétiques seront l’œuvre du premier genre d’esprit, et serviront remarquablement à classer et à utiliser la science acquise. Les théories mécanistes seront l’œuvre des esprits à tournure concrète et serviront surtout à l’investigation et à la découverte. D’où il semble qu’on puisse conclure que c’est à deux formes particulières de l’imagination que sont dues les divergences théoriques. Chaque savant est porté vers la méthode qui