Page:Rey - La théorie de la physique chez les physiciens contemporains, 1907.djvu/365

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
343
LA VALEUR DE LA PHYSIQUE.

être considérées comme hypothétiques, mais les grandes lignes et les fondements semblaient définitifs. L’histoire du mécanisme traditionnel est l’illustration même de cette observation. Chaque époque a été marquée par une forme dominante de la théorie mécanique, et cette forme a toujours passé pour avoir une valeur absolue. Si Newton dit « Hypotheses non fingo », il songe à l’hypothèse cartésienne et il ne se doute pas qu’il jette les bases d’une autre hypothèse, celle des forces centrales. Pour son dogmatisme, cette hypothèse est l’expression même de la réalité ; elle n’est plus une hypothèse. Il en sera de même ensuite pour ceux qui trouveront que la notion de force est obscure ; ils n’ont pas de représentation perceptive de la force ; elle est par suite hypothétique. Le mouvement, le choc des masses matérielles leur paraissent, au contraire, des notions claires et des données empiriques. Et c’est toujours pour ne pas faire d’hypothèses qu’ils rejetteront la notion de force et adopteront l’atomisme cinétique. Il est donc bien vrai de dire que dans cette physique où tout, pour nos habitudes d’esprit actuel est hypothèse, la place que croyaient laisser à l’hypothèse’d’une façon consciente et voulue ses créateurs et ses disciples, était extrêmement petite, L’hypothèse était pour eux un accessoire contingent et très secondaire de la méthode.

Ceci était, si l’on veut bien y faire attention, une conséquence logique de ce mélange intime, d’intuition intellectuelle et d’intuition empirique, qui semble caractéristique de la méthode de la physique antérieure au milieu du XIXe siècle. C’est parce que les physiciens avaient une confiance indéfectible en toute idée simple, claire, distincte, parce que l’évidence rationnelle était pour eux le critère inconscient de la vérité et de la réalité, qu’ils ne pouvaient imaginer de limitation à un système dès qu’il était fondé sur des idées simples, claires et distinctes. Certains qu’ils étaient des fondements, l’hypothèse n’avait plus guère de place dans le développement de la science. Elle n’était qu’un moment jpréparatoire dans l’imagination du savant à propos d’une recherche de détail.