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CONSÉQUENCES PHILOSOPHIQUES.

rien affirmer que d’après l’expérience, et tant il est prêt à accepter d’elle des indications qu’il n’aurait même pas soupçonnées, ou contre lesquelles il se serait élevé de toutes ses forces. Aussi les hypothèses restreintes, les modèles mécaniques et transitoires se multiplient-ils aux dépens de vastes systématisations trop prématurées.

Les sciences physico-chimiques nous présentent actuellement une spécialisation qui, à certains savants, paraît même excessive et dangereuse[1].

Chacun ne cultive qu’une petite partie du domaine scientifique et aventure ses hypothèses et ses constructions théoriques sans se soucier beaucoup de l’ensemble. Il arrive, on l’a vu, que les constructions théoriques, les hypothèses peuvent aboutir à des conséquences contradictoires. Les philosophes s’en affectent et souvent en font une objection à l’objecfivîté et à la valeur de savoir de la physique : Les physiciens s’en soucient fort peu. Ils comptent sur les expériences ultérieures, soit pour trancher le débat en rejetant l’une des contradictoires, soit pour révéler, en provoquant une théorie plus générale, que la contradiction n’était qu’apparente.

Cette confiance en l’expérience, d’une part, et, d’autre part, la relativité et les limites étroites de notre expérience actuelle, ont entraîné cette conséquence importante et en apparence paradoxale que l’hypothèse joue un rôle sans cesse croissant dans la physique. Jamais on n’a suivi d’une façon plus serrée les faits et jamais on n’a laissé un champ plus large aux anticipations sur l’expérience. C’est qu’on expérimente toujours pour vérifier une hypothèse, et que la conjecture consciente est un moment essentiel de la méthode expérimentale.

2. — Tant qu’on restait fidèle à la méthode d’intuition intellectuelle, les constructions théoriques, pour leurs auteurs, et souvent pour l’époque, si l’on prend les constructions qui rallièrent la presque totalité des physiciens, n’étaient pas des hypothèses. Certaines parties pouvaient

  1. A. Houllevigne, par exemple, dans un article de la Revue de Paris du 1er juillet 1905 : « Les frontières des Sciences ».