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LA VALEUR DE LA PHYSIQUE.

souvent, avec le rationalisme. La physique tout entière, même dans la conception énergétique, — celle qu’on pourrait peut-être tirer le plus facilement dans un sens irrationaliste, — admet que la théorie physique doit être avant tout fidèle aux principes formels de la pensée et surtout au principe de contradiction. On peut toujours rendre compte de l’expérience d’une façon rationnelle, tel est le postulat de la théorie de la connaissance de cette physique. Pour elle, et à plus forte raison pour tous les autres, l’expérience physique reste avant tout intelligible. La science continue à vouloir satisfaire la raison. Seulement, la raison a perdu son sens réaliste et objectif. La raison n’est plus, comme le définissait encore Cournot, la mesure des choses, l’intuition de la réalité. Elle n’est plus indépendante de la constitution psychologique. Rien n’autorise plus à lui conférer une valeur absolue.

La raison, c’est l’instrument de connaissance que l’évolution a vraisemblablement fait apparaître, en tout cas qu’elle a forgé et perfectionné : l’évolution, c’est-à-dire la sélection et l’adaptation, les besoins de l’action, de la compréhension, de la communicabilité. C’est pour la synthèse cohérente avec Duhem, c’est pour l’épargne de la pensée avec l’énergétique, c’est pour la commodité avec Poincaré, c’est pour l’adéquation à l’expérience avec les mécanistes modernes, que les principes rationnels s’imposent.

Et cette conception est directement héritée de la critique philosophique de la connaissance, des attaques de Hume et des empiristes, contre l’intuition intellectuelle. Cette critique a modifié profondément l’esprit de la physique contemporaine.

5. — La physique contemporaine ne croit plus pouvoir construire un système coextensif à l’univers physique. Elle ne croit pas pouvoir atteindre la réalité, non seulement pour des raisons psychologiques ou métaphysiques qui ne sont ni de son ressort, ni de notre sujet, mais sous l’influence de ces raisons peut-être, pour des raisons proprement physiques et expérimentales qui, seules, nous intéressent ici.

La physique moderne ne croit plus pouvoir dire un jour :