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LA VALEUR DE LA PHYSIQUE.

une illustration de l’influence nécessaire, constante et considérable qu’exerce directement l’esprit philosophique général sur l’esprit scientifique. Si l’on peut dire que la grande tradition philosophique s’est toujours inspirée, et scrupuleusement, de la science du temps, et que les plus grands philosophes ont été des savants, il est vrai d’ajouter que par un choc en retour, la philosophie a contribué à préciser l’esprit général de la science, surtout de la science physique. Elle en a donné une interprétation, implicitement contenue dans les résultats acquis par les purs savants, mais qui, chez aucun d’entre eux, ne se dégageait et ne se formulait nettement. Elle a analysé l’atmosphère dans laquelle vivent les savants et dont en grande partie ils vivent, sans s’en rendre bien compte, un peu comme les hommes vivent de l’air. Par là, les études générales de la science et la critique scientifique qui, d’après Comte, constituent proprement la philosophie et qui l’ont toujours dans la plus large mesure constituée chez les grands philosophes, ont rendu et rendent un service aussi incontestable que nécessaire aux sciences proprement dites.

2. — Jusqu’au milieu du xixe siècle, à quelques très rares exceptions près, et ces très rares exceptions ne se sont jamais présentées d’une façon nette et systématique, la conception cartésienne de la valeur de la science physique régna sans conteste. Elle peut se résumer en deux propositions très simples : si l’on considère les choses en surface, au point de vue de l’extension, la science physique n’a d’autres limites que les limites de la nature. Au point de vue de la compréhension, si l’on considère les choses en profondeur, la science physique atteint la substance elle-même. Une fois la science achevée, le savant serait identique au créateur, virtuellement. Il n’aurait pas le pouvoir de créer ; mais il connaîtrait le comment et le pourquoi de la création jusqu’en ses derniers détails. Il aurait le même savoir, sinon le même pouvoir. Dum Deus calculat, fit mundus ; et ce calcul divin, c’est celui dont Leibniz formule les lois. Pour Newton, temps et espace sont des attributs de la divinité ; et Newton pense avoir établi les