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LA VALEUR DE LA PHYSIQUE.

appelle la « Phénoménologie mathématique » (qui correspond à peu près comme contenu à la systématisation de Duhem), et la « Phénoménologie générale »[1] (l’énergétique de Mach ou d’Ostwald), il y a un appel constant à l’hypothèse.

Mais ce qui caractérise, ce me semble, d’une façon bien remarquable tout le développement de la physique théorique dans la seconde moitié du xixe siècle, ce qui achève de bien marquer la signification empirique de l’objectivité de la physique, c’est que précisément l’esprit, bien qu’il ait un rôle nécessaire, n’a qu’un rôle subjectif. En aucune façon, il ne rappelle le rôle de l’intuition dans le cartésianisme, le rôle de la catégorie dans le kantisme. Il n’impose aucune forme précise, aucune particularité à l’expérience. Celle-ci est indépendante, absolument indépendante en elle-même de la pensée. Les lois de l’esprit régnent dans un domaine arbitraire. Elles gouvernent un arrangement de nos représentations qui par lui-même n’a rien d’objectif et de nécessaire. Il ne sera question de vérité ou d’erreur que lorsqu’on conférera, soit cet arrangement tout entier, soit ses résultats avec les résultats de l’expérience. Que ce soit la théorie arbitraire de Duhem, la formule commode de Poincaré, la plus grande épargne de pensée de Mach, ou enfin l’hypothèse des mécanistes, toutes ces constructions peuvent être différentes de ce qu’elles sont et se conformer tout aussi bien aux lois de l’esprit. Ce qui les fera adopter, ce n’est nullement des considérations relatives à une nécessité rationnelle ou aprioristique. Ce sera rexpérience. Bien mieux, s’il était possible, ces constructions pourraient heurter ce que nous aurions cru être les lois nécessaires de l’esprit ; elles pourraient n’être pas conformes aux exigences du sujet. Et ce ne serait pas là, de l’avis de tous les physiciens modernes, un motif pour les rejeter. Le motif qui les fera accepter ou rejeter doit être uniquement expérimental.

Ainsi les lois propres à l’esprit peuvent intéresser la logique ou les mathématiques pures ; elles n’ont qu’un rapport contingent avec la physique. Elles ne fondent rien dans

  1. Boltzmann : Ueber die Entwickelung der Methoden der theoretischen Physik in neuerer Zeit. (Naturwissenschaftliche Rundschau, 14 octobre 1899, 517.)