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CONSÉQUENCES PHILOSOPHIQUES.

Mais de ce que les conséquences de la théorie sont nécessairement objectives, ne s’ensuit-il rien pour la construction de la théorie elle-même ? Qui pourrait le nier ? De pareilles limites à l’arbitraire théorique et subjectif sont nécessairement de très étroites limites.

Dans l’exposé didactique de ses idées, Duhem peut bien partir de l’arbitraire, du subjectif, pour aboutir à l’expérience. Qui ne voit — et il n’y aurait pas de physique sans cela, — qu’en réalité, dans l’œuvre vivante du physicien, on part toujours de l’expérience et que l’arbitraire est strictement limité par ses données ? Claude Bernard avait déjà remarqué dans son introduction à la médecine expérimentale qu’il ne peut pas y avoir de point de départ a priori Même dans les sciences mathématiques, et il cite à l’appui de son dire un témoignage d’Euler, les prémisses sont nécessairement fournies par l’oBservation de relations entre les choses.

Le théoricien, pour marquer l’indépendance de la théorie vis-à-vis de l’expérience, pour mettre d’une façon plus frappante le procédé constructif de l’esprit dans la partie théorique, peut bien supposer les choses renversées et montrer que partant d’un point de départ a priori, la théorie, quelle qu’elle soit, ne cesse d’être valable, si ses conséquences sont toutes vérifiées par l’expérience : Il veut montrer que là est la seule condition de validité de la théorie.

Mais dans la pratique scientifique, il est aisé de voir que le physicien sera guidé par l’expérience qu’il doit retrouver. Sa liberté est restreinte. Ses constructions théoriques oscilleront fatalement comme un pendule autour d’une direction moyenne. L’expérience devient le centre de gravité du système, et l’angle d’oscillation sera fort petit.

Nous voilà bien près de la façon dont les mécanistes les plus intransigeants conçoivent la physique théorique. Eux aussi, ils admettent un arbitraire, fait de notre ignorance et des hypothèses qu’elle suscite. Comme l’expérience ne nous donne pas, ou ne nous donne pas d’une façon précise, toutes les relations dont nous aurions besoin pour construire la théorie d’un phénomène, nous devons y sup-