Page:Rey - La théorie de la physique chez les physiciens contemporains, 1907.djvu/310

Le texte de cette page n’a pas pu être entièrement corrigé, à cause d’un problème décrit en page de discussion.
288
L’ANALYSE DES DOCTRINES.

était quelque chose de tangible et de visible. On pouvait la concevoir existant comme elle était perçue ; de même pour le mouvement, mais la force ?… N’était-on pas en présence d’une notion toute subjective ? Pouvait-on se représenter la force sous une forme tangible et visible, pouvait-on la considérer et l’individualiser comme une chose ? La psychologie de l’époque ne connaissait pas l’image musculaire ou kinesthésique, qui joue un rôle prédominant aujourd’hui dans les théories de l’évolution de la conscience. Fidèle à la théorie des cinq sens, elle n’en connaissait point d’autre ; elle ne pouvait pas assimiler la représentation musculaire d’une force avec la représentation d’une portion d’étendue, limitée par des contours impénétrables. Pour le mécanisme du xviiie siècle, si nous suivons exactement ses propositions, une chose qu’on peut concevoir, une chose intelligible, est une chose perceptible. Il n’y a de perceptions que celles des cinq sens, et dans celles-ci il n’y a de claires que celles du tact et de la vue (on pourrait presque dire celle de la vue seulement, si l’on songe à Descartes et aux savants de la Renaissance). On arrive fatalement à cette conclusion : La notion de force doit être une notion dérivée et réductible. Elle n’est pas une réalité objective, une chose. Le nominalisme des mécanistes, leur goût de la chose expérimentée, de la chose touchée, vue, même chez les moins empiriques comme Descartes dont les conceptions physiques sont toutes des représentations visuelles, tout cela devait chez les esprits systématiques faire naître une tendance à exclure la force des principes et des éléments irréductibles du système. De là, toutes les résistances chez les cartésiens du xiiie siècle à accepter la mécanique newtonienne et l’hypothèse des forces centrales. De là, le reproche adressé à Newton, de vouloir restaurer les qualités occultes, de déroger au nominalisme, à la clarté et à la distinction, à l’intelligibilité considérées à juste titre comme les conquêtes définitives de l’esprit moderne. De là, les erreurs qu’on multiplie dans l’interprétation de la pensée de Newton.

Les philosophes qui par définition sont les plus systé-