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L’ANALYSE DES DOCTRINES.

actuel, suivant en cela un de ses plus grands promoteurs, décrit et systématise, à grands coups d’imagination, dans les domaines qu’il ne fait encore qu’explorer. Il n’attend pas d’avoir tous les éléments dans la main, car c’est en risquant la description et la systématisation qu’il découvre plus loin, pénètre pins profond, diminue progressivement le risque. Mais à la différence de ceux qui l’ont engagé dans cette voie, il ne croit pas aussi ferme à son étoile et à sa chance. Il ne prend pas pour réalisé le bénéfice qu’il espère. Il essaye de démêler nettement ce qui est hypothétique ; et dans ce qui est hypothétique, il veut même évaluer ses chances d’erreur.

Un mécaniste se reconnaît aujourd’hui au rôle qu’il accorde à l’hypothèse. Il n’en fait pas un auxiliaire ; il lui donne la place d’honneur. Il déclare qu’il ne peut avancer, qu’il ne peut même Voir clairement où il est, qu’avec elle et grâce à elle. Il la considère mieux que comme un procédé inévitable de la méthode, mieux même que comme un procédé fécond. Il la voit comme une forme universelle de la science, un état permanent d’où certaines connaissances ne sortent que pour laisser place à d’autres. Il avoue l’hypothèse avec la conscience de servir la cause scientifique plus fidèlement que par le silence.

Le mécanisme contemporain vit donc sur l’hypothèse et presque de l’hypothèse. Aussi est-il bien la théorie la moins dogmatique qui soit. Il oppose à ses adversaires ses succès continus dans la découverte, la foule de savants qu’il rallie, les données d’observation sur lesquelles il fonde sa lécrihmité avec une très grande modestie. Boltzmann dira à la fin d’une conférence sur les principes de la mécanique que pour résurfier son exposé, il peut noter que tous les phénomènes organiques et inorganiques, par un côté, sont décrits grâce à la mécanique rationnelle d’une façon plus exacte qu’ils ne le sont dans toute autre théorie jusqu’à ce jour.

Cette formule avec toutes ses précautions n’a rien d’intransigeant ; elle constate un fait, et cherche à ne pas dépasser ce que permet cette constatation[1].

  1. Boltzmann, Über die Prinzipien der Mechanick, p. 35 (Leipzig, 1903.)