Page:Rey - La théorie de la physique chez les physiciens contemporains, 1907.djvu/298

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
276
L’ANALYSE DES DOCTRINES.

restreinte. Il ne vient pas à l’idée d’un physicien du xviie ou du xviiie siècle d’apporter des restrictions à la portée, à la valeur, à la légitimité de ses inductions. Émettre un doute est une exception. Le physicien, dans l’expérience, souvent grossière, du laboratoire, et dans les conclusions — souvent presque aprioristiques, tant elles dépassent les prémisses expérimentales — qu’il en tire, croit avoir découvert immédiatement l’ordre éternel de la nature. Il s’imagine la pénétrer jusqu’en son fond. S’il a supposé, conjecturé, émis des hypothèses alors que tout cela se présentait encore d’une façon confuse à son esprit dans le travail de recherches, aucun doute ne subsiste dès qu’il croit voir clair dans les résultats auxquels il parvient. L’hypothèse est un procédé momentané et accessoire, un détour, un biais qu’on aime peu à avouer. Personne n’aurait l’idée d’une théorie générale hypothétique qui peut rendre pendant de longues années d’incalculables services, mais qui disparaîtra ensuite plus ou moins complètement comme un échafaudage désormais inutile. L’intransigeance et le dogmatisme, voilà bien le ton général de la physique traditionnelle jusqu’au milieu du xixe siècle, et comme la physique traditionnelle jusque-là, c’est le mécanisme, tel est le ton général du mécanisme.

Ce ton est ce qui a le plus souvent choqué les physiciens contemporains mal disposés pour le mécanisme. Souvent la vivacité, l’âpreté de leurs critiques a eu là sa raison première, profonde, et comme toutes les raisons profondes, à demi consciente. On a attaqué un dogme intransigeant, car on y voyait les dangers d’une scolastique nouvelle ; on a eu plaisir à critiquer vertement là où l’on pouvait le faire à bon droit, et les occasions ne manquent pas dans l’état si imparfait encore de la physique, un système peu complaisant à la critique. L’intransigeance dogmatique, la certitude d’avoir fixé la vérité pour toujours dans un certain nombre de cadres aux lignes simples et bien arrêtées, devaient provoquer, et ont effectivement provoqué, une réaction contre le mécanisme. Surtout lorsqu’on s’est aperçu que tous ces cadres craquaient par endroits les uns