Page:Rey - La théorie de la physique chez les physiciens contemporains, 1907.djvu/292

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
270
L’ANALYSE DES DOCTRINES.

rience possible[1]. L’hypothèse deviendra théorie lorsque l’expérience de possible sera devenue réelle. L’objectivité la plus stricte est donc toujours l’aboutissant du mécanisme, par quelque côté qu’on l’examine.

Les critiques du mécanisme ont donc confondu hypothèse et affirmation définitive. Ce qui peut présenter de l’arbitraire, et un arbitraire qu’on ne déguise pas, mais qu’on met bien en évidence, c’est l’hypothèse préparatoire, l’anticipation de l’expérience ; la part en est énorme dans une science qui date à peine de trois siècles. Ensuite, ils ont omis de remarquer que l’hypoth’èse mécaniste est toujours une anticipation de l’expérience ; elle essaye de se formuler en sensations possibles, et non en un algorithme symbolique.

Mais derrière ces critiques qui restent en quelque sorte techniques et contre lesquelles l’attitude tout entière du mécanisme, son organisation interne, ses principes profonds sont une protestation suffisante, il est un état d’esprit plus vague, plus général, peut-être cause lointaine et première de ces critiques. Cet état d’esprit procède d’un point de vue extérieur, aux considérations d’ordre scientifique. Il s’alimente surtout de discussions dialectiques

  1. Perrin : Traité de chimie physique, vol. I. Préface p. IX-X.

    « On peut, en suivant une marche parfaitement logique, se proposer d’imaginer certains modèles, mécaniques, électriques ou autres assez simples pour être saisis dans leur ensemble par notre esprit, et pourtant semblables à l’univers en ceci que, tout au moins de façon grossière, leurs propriétés et celles de l’univers se correspondent comme se correspondraient deux phrases écrites en deux langues différentes. Il y aurait déjà là un procédé régulier de découverte, sans que pourtant le modèle employé sût plus de réalité sensible que les équations par lesquelles nous exprimons des lois. Mais il me paraît qu’on a encore le droit d’attribuer aux molécules, atomes ou corpuscules, une réalité plus grande.

    Et je ne retombe pas dans la métaphysique. Je ne cesse pas d’oublier que la sensation est la seule réalité. C’est la seule réalité, à la condition d’adjoindre aux sensations actuelles toutes les sensations possibles. Nul ne démentira ce dernier mot s’il veut encore faire de la science ; nul ne refusera d’accorder quelque réalité aux sensations qu’il peut éprouver en ouvrant les yeux ou en tournant la tête. Dès lors, les hypothèses moléculaires peuvent prendre une portée que la comparaison suivante indique suffisamment.

    On aurait certainement pu, sans l’aide du microscope, arriver à penser que les maladies contagieuses étaient dues à la multiplication de très petits êtres vivants. On aurait pu, guidé par cette idée a priori, découvrir à peu près toute la technique peistorienne. On aurait fait ainsi de la science déductive et guéri les maladies contagieuses, mais suivant une voie condamnée par les partisans de la seule méthode inductive, tout au moins jusqu’au jour où le microscope découvert eût prouvé que l’hypothèse des microbes exprimait bien des sensations possibles. Voilà donc l’exemple indiscutable d’une structure qui pouvait échapper à nos sens et dont la connaissance permet de prévoir certaines des propriétés qui leur sont directement accessibles.

    Qui oserait, dès lors, sérieusement soutenir que le domaine des sensations possibles ne peut pas dépasser le domaine actuel ? Et lorsque les atomistes attribuent à la matière d’apparence homogène une structure granuleuse, opèrent-ils d’une façon bien différente des microbiologistes que j’imaginais tout à l’heure, et doit-on se borner à dire dédaigneusement qu’ils font de la métaphysique ?

    Au surplus, et précisément au moment où l’on discutait l’intérêt de la légitimité de leur méthode, les atomistes ont su les prouver fi nouveau par d’éclatantes découvertes dont la théorie corpusculaire a su faire un ensemble harmonieux. »