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CONTINUATEURS DU MÉCANISME, HYPOTHÈSES FIGURATIVES.

rejoindre les deux bouts de la chaîne après l’avoir brisée.

Le mécanisme ne connaît pas cette préoccupation. Le problème pour lui n’existe pas, car il a gardé purement et simplement la tradition de la Renaissance, et la pensée de Galilée, de Descartes, de Bacon, de Hobbes.


    Ainsi, si l’on part de la raison, comme les cartésiens, on la retrouve toute pure dans l’expérience, puisque celle-ci est diaphane pour la raison ; si l’on part de l’expérience, comme les empiristes, on retrouve la raison, car la raison est un décalque nécessaire ae l’expérience. Raison et expérience ne peuvent pas être l’une objective, l’autre subjective comme chez les socratiques, et dans le rapport inverse, comme pour les modernes restaurateurs de cette terminologie, elles doivent suivre le même sort, parce qu’en réalité elles ne font qu’un.

    Ce qui est subjectif pour l’esprit scientifique moderne, tel qu’il prend conscience de lui-même à la Renaissance, c’est l’abstraction réalisée et construite arbitrairement par l’esprit, cette œuvre constante de l’imagination débridée malgré toutes les précautions et tous les avertissements. C’est ce qui est confus ou équivoque, mal perçu peir les sens, ou illogiquement conclu par l’esprit, ce qui vient d’une cause accidentelle, d’un point de vue particulier. Lest l’erreur sous toutes ses formes, c’est le sentiment individuel non contrôlé. Ce qui est objectif, c’est ce qui est, d’après l’expérience ou le raisonnement logique, l’un confirmant l’autre ou s’achevant, se continuant dans l’autre, universel, clair et distinct. L’objectif est à la fois représentable et intelligible. Ce qui est intelligible ne peut pas ne pas être représentable. Ce qui est représenté ne peut pas ne pas être intelligible.

    Une manifestation remarquable de cette tendance se trouve dans les idées qui amenèrent Descartes à ses recherches de géométrie analytique. La tendance peut au fond se résumer ainsi : le contenu de la représentation se formulera toujours par une théorie rationnelle. Une théorie rationnelle ne peut exister que par rapport au contenu de la représentation. Si Descartes pose l’existence de la matière, c’est qu’il veut montrer que la représentation géométrique n’est pas une création de l’esprit, mais une réalité — il n’est pas idéaliste — et dans les termes où il définit cette réalité et la pose, cette réalité a pour essence d’être rationnelle et intelligible. Il ne doit pas y avoir antinomie entre la représentation exacte et la logique, entre le réel et le rationnel.

    C’est en combinant l’analyse des anciens et l’algèbre des modernes que Descartes crée la géométrie analytique, mais l’analyse des anciens c’est la géométrie, tout embarrassée de « la considération des figures », c’est-à-dire de l’espace qui, pour Descaries, constitue la matière même de la représentation. L’algèbre des modernes, c’est la longue chaîne de raisons toutes simples et faciles qui satisfait l’esprit par son « évidence » et sa « certitude ». Représentable et intelligible sont donc synthétisés, ramenés à une absolue et féconde unité avec la géométrie analytique. La méthode que Descartes pro-