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CONTINUATEURS DU MÉCANISME, HYPOTHÈSES FIGURATIVES.

les physiciens et les chimistes de laboratoire, qui se rattachent presque tous au mécanisme.

Milhaud, bien qu’il soit lui-même mathématicien, ne fait-il pas à peu près cette objection à Poincaré à propos de l’ouvrage de ce dernier : La Science et l’hypothèse : « Une chimère qui ne se montre pas, mais qui se devine, y trouble la vue de l’esprit ; c’est celle d’une nécessité absolue, apodictique, s’offrant et s’imposant d’elle-même… Dans ses efforts pour constater qu’il n’atteint d’aucune manière à la nécessité absolue, M. Poincaré donne le sentiment qu’il y songe toujours… On sent qu’il garde au fond de sa pensée comme une sorte d’étalon idéal, près duquel les énoncés ordinaires de la science semblent suspendus dans le vide. Comme ils ne s’imposent pas d’eux-mêmes avec cette nécessité absolue que l’on rêve…, l’ombre de la chimère inaccessible conduit à déprécier la valeur de cet assentiment, de cette décision, comme si l’objectivité devait en être diminuée de tout ce que l’esprit apporte de lui-même à la place de l’absolu qui ne vient pas. Et voilà pourquoi. M. Poincaré dépouillera si aisément de vérité les définitions fondamentales de la science ; voilà pourquoi il nous amènera — malgré ses efforts pour s’y opposer — à douter de leur objectivité[1]. » Il y a là une invasion de l’esprit mathématique dans les façons de juger et de comprendre la physique, que dénoncent tous les expérimentateurs. Et n’est-ce pas à cette influence, qui, pour être cachée, n’en est pas moins prépondérante, qu’est due parfois l’incertitude, l’hésitation de la pensée sur l’objectivité de la physique, et les détours que l’on prend, ou les obstacles que l’on surmonte pour la mettre en évidence. Les fictions abstraites de la mathématique semblent avoir interposé un écran entre la réalité physique et la façon dont les mathématiciens comprennent la science de cette réalité. Ils sentent confusément l’objectivité de la physique, ses rapports étroits avec l’expérience, mais ils sont obligés, à cause de la façon même dont subjectivement la question se présente

  1. Revue de Métaphysique, novembre 1903, p. 787, 788.