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L’ANALYSE DES DOCTRINES.

et de leurs lois, est renforcée encore dans l’exposé de Poincaré par les progrès continus qu’il se plaît à noter dans les théories particulières : comme il nous le montre, elles se complètent sur leurs bases primitives ; elles ne s’écroulent jamais pour céder la place à d’autres, totalement différentes[1].

3. — Si Poincaré s’accorde avec la tradition sur la thèse de l’unité de la nature, il est forcé de s’accorder avec elle sur une thèse plus essentielle encore : la réduction progressive de la qualité à la quantité. La qualité est logiquement spécifique. Des qualités ne peuvent pas sans absurdité se réduire. Elles ne, se réduisent que lorsqu’on les considère comme les apparences hétérogènes d’une homogénéité fondamentale.

La qualité pure, l’impression sensible individuelle est intransmissible ; la science qui a pour but essentiel une construction identiquement intelligible pour tous, doit donc éliminer le qualitatif, l’individuel, des phénomènes auxquels elle s’applique. Elle le fait en prenant pour objet non le phénomène lui-même, l’individu, ce qui n’existe que par certaines propriétés qualitatives, mais les relations entre les phénomènes. Or, toute relation est avant tout du domaine de la quantité. Les relations, en effet, en tant que relations pures, sont homogènes les unes aux autres, commensurables les unes avec les autres, puisque la mathématique, science de la quantité, est aussi, et mieux, définie la science de l’ordre, donc de la relation. Une relation est toujours représentable quantitativement, et en tant que quantité, elle est, par définition, homogène à toutes les autres quantités. Poincaré admet donc logiquement que l’unité de la nature postulée par les sciences physico-chimiques n’a qu’un sens possible : la réductibilité des phénomènes physico-chimiques les uns aux autres, par suite leur homogénéité. Or, on ne peut concevoir comme homogène que ce qui est quantitatif. Il faut donc éliminer ce qu’il y a de qualitatif dans les différentes sensations qui nous font connaître la nature, ne retenir que ce qu’il est

  1. Science et hypothèse, p. 210.