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L’ANALYSE DES DOCTRINES.

gage vulgaire. Ce terme ne signifie pas que l’œuvre scientifique est un procédé facile ou habile, choisi pour un agrément particulier et individuel. Il n’a rien à faire avec la convenance du savant, tandis qu’un objet n’est, au sens vulgaire, commode que pour la convenance de qui l’emploie. Non, commode exprime ici adaptation à l’objiet. Cette adaptation doniie, de l’objet, l’aspect sous lequel il sera le plus facile de le faire apercevoir de tous, et le moyen le plus favorable pour agir sur lui, c’est-à-dire autant d’intelligibilité et d’objectivité qu’il se peut. La commodité ici dépend donc à la fois de la nature de l’objet et de la nature du sujet, toutes deux indépendantes de notre volonté. Elle a un caractère d’universalité qui enlève au choix son arbitraire. Des conditions nécessaires limitent ce choix, et enferment dans un cercle étroit ce que nous pouvons nous représenter comme commode, si étroit, qu’il n’y a jamais dans la science qu’une théorie qui l’emporte et que lorsque tombent les hypothèses particulières, les principes, c’est-à-dire les clefs de voûte de la théorie restent très vraisemblablement définitifs[1].

Dans le domaine scientifique, l’idée du « plus ou moins commode » a donc quelque chose de nécessaire. La commodité dépend de conditions extérieures qu’il n’appartient au savant ni d’enfreindre, ni de choisir.

L’expérience fournit ces conditions-limites, et avec elle, la tendance fondamentale de notre esprit qui nous impose la formule la plus simple, la plus intelligible par laquelle puisse se traduire l’expérience[2] :

« L’expérience nous fait connaître des relations entre les corps ; c’est là le fait brut ; ces relations sont extrêmement compliquées. Au lieu d’envisager directement la relation du corps A et du corps B, nous introduisons entre eux un intermédiaire qui est l’espace, et nous envisageons trois relations distinctes ; celle du corps A avec la figure A’ de l’espace, celle du corps B avec la figure B’ de l’espace, celle des deux figures A’ et B’ entre elles. Pourquoi ce dé-

  1. Id., p. 276.
  2. Poincaré, Revue de Métaphysique, mai 1902, p. 277.