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L’ANALYSE DES DOCTRINES.

d’autre part, une théorie physique se développe toujours par les procédés, les raisonnements propres à la inathématique, c’est-à-dire des procédés, des raisonnements absolument indépendants de l’expérience. Pourtant si la physique théorique est une physique mathématique, il faut bien qu’elle s’appuie sur des fondements, de nature identique aux fondements de la mathématique. C’est effectivement ce qui a lieu. La physique théorique s’enfoncera par ses racines dans l’expérience, et c’est pourquoi elle mérite d’être appelée physique, mais au sonunet, elle sera suspendue à des « principes » qui rappellent par leur allure et leur rôle les notions mathématiques et elle sera bien dénommée physique mathématique.

5. — On voit comment se résout la contradiction : en différenciant profondément, par leur nature logique, les principes théoriques des lois expérimentales, même les plus générales ; en isolant le principe du fait, tandis que là loi expérimentale reste toujours engagée dans le fait dont elle n’est que la formule de prévision ; en distinguant une troisième classe d’hypothèses, différentes des deux autres, et pourtant participant des deux autres ; les hypothèses qui, bien que suggérées par l’expérience, seront formulées par l’esprit de telle façon qu’elles ne pourront plus être démenties par elle. « Il n’y a pas de frontière précise entre le fait brut et le fait scientifique, on peut dire seulement que tel énoncé de fait est plus brut, ou, au contraire, plus scientilique que tel autre[1], » disait Poincaré, en condensant la théorie qui montre les lois sortant peu à peu des faits expérimentaux pour donner les moyens de les prédire. On pourrait dire maintenant : il y a par contre une frontière infranchissable et très nette entre un principe et une loi qui permet de prévoir des faits, entre l’hypothèse du second genre (l’hypothèse vérifiable) et l’hypothèse du troisième genre (l’hypothèse invérifiable).

Une physique mathématique ne sera donc possible qu’à une condition et à une seule : c’est que la loi empirique, si

  1. Poincaré, Sur la valeur objective de la Science (Revue de Métaphysique et de Morale, mai 1902, p. 274).