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L’ANALYSE DES DOCTRINES.

analyse nos sens qui viendront confirmer ou infirmer la vérité de la proposition, sa correspondance ou sa non-correspondance avec le fait[1].

Or, reprenons nos trois propositions. Il fait noir. — L’éclipse a lieu à 9 heures. — L’éclipse a lieu à l’heure déduite des tables de Newton. Toutes trois sont vérifiables en fait, dans l’expérience sensible, et ne sont vérifiables que là. Toutes trois, quel que soit leur degré d’élaboration, sont des énoncés de faits expérimentaux.

4. — Le caractère expérimental, objectif et nécessaire des propositions physiques se manifeste encore plus nettement, quand on songe que leur énoncé n’est pas seulement relatif à la constatation d’un fait, mais à la prévision de ce fait. Comment croire alors, devant la réussite constante de la prévision, à la création arbitraire et conventionnelle, ou à la liberté d’interprétation du fait scientifique ?

Nous arrivons ainsi aux conclusions suivantes : « Le fait scientifique n’est que le fait brut traduit dans un langage commode[2]. » « Tout ce que crée le savant dans un fait, c’est le langage dans lequel il l’énonce[3]. »

5. — Le fait brut est donc partie intégrante du fait scientifique ; c’est sa condition d’existence[4]. La physique expérimentale est construite avec des faits. Son contenu, ce sont des faits, ce ne sont que des faits. Et par fait, on doit entendre, selon l’acception du sens commun, des données sensibles, des perceptions.

Il serait absurde, pour éluder cette conclusion, de dire que le savant corrige les donijées sensibles, à l’aide d’une infinité de moyens rationnels qui dépendent d’un ensemble de conventions très complexes. Ces corrections n’ont qu’un but : retrouver le fait brut aussi pur que possible, en rectifiant par le raisonnement et la technique, les insuffisances qu’impliquent l’exercice de nos sens et le langage que nous employons. Loin d’altérer le fait objectif, ce que le savant

  1. Id., p. 269, 270.
  2. Poincaré, Revue de Métaphysique, mai 1902, p. 272, 273.
  3. 3Id., p. 273.
  4. Id., p. 272.