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L’ANALYSE DES DOCTRINES.

Le fait scientifique, si l’on veut préciser, n’est autre chose qu’un fait brut qu’on débarrasse des caractères qualitatifs qui en faisaient une impression individuelle. Sur ce fait ont opéré l’abstraction et la généralisation. Mais pour cela il n’a pas changé de nature, car le fait, tel que l’exprime le sens commun, est toujours dans une certaine mesure abstrait et généralisé.

En considérant comme un fait brut l’impression individuelle, la sensation, point de départ de toute expérience et de toute connaissance de fait, on est bien forcé de reconnaître que dès qu’on exprime ou qu’on communique à autrui une impression individuelle, dès qu’on la constate à l’aide de ce jugement immédiat et presque implicite que comporte toute perception, commence un travail d’abstraction et de généralisation que continuera identiquement l’élaboration scientifique[1].

Poincaré peut donc dire qu’entre ces deux premiers moments de l’évolution d’une proposition scientifique citée comme exemple :

« 1o. — Il fait noir, dit l’ignorant.

« 2o. — L’éclipse a eu lieu à 9 heures », dit l’astronome.

Il n’y a pas d’hiatus, de saut qui marque une frontière outre un fait brut et un fait scientifique.

Au contraire, ces deux propositions indiquent la continuation du même travail sur une impression individuelle, qui serait, — si l’on veut, — le fait brut. Il en serait de même si l’on examinait le passage de la seconde forme de colle proposition à une troisième :

« 3o. — L’éclipse a eu lieu à l’heure que l’on peut déduire des tables construites d’après les lois de Newton. »

Et ces trois formes successives non seulement représentent la continuation d’un même travail sur l’impression individuelle, mais ne se distinguent de ce point de départ que par des modifications surajoutées qui en laissent intacte la nature profonde. Comme l’impression individuelle, les

  1. Id., p. 268.