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CRITIQUE DU MÉCANISME : L’ATTITUDE SIMPLEMENT CRITIQUE.

essentielle de la démarche de la pensée et des résultats auxquels elle aboutit.

Qu’est-ce qu’une expérience ? Et en quoi consiste la physique expérimentale ? Voilà’ce qu’il faut commencer par examiner si l’on veut suivre logiquement la conception que Poincaré se fait de la physique, la façon dont il se représente sa genèse et sa structure.

2. — Les sciences physico-chimiques partent des faits, c’est ce que personne ne nie. Mais on a soutenu que les faits qui étaient à la base de ces sciences n’avaient rien de commun avec les faits de l’expérience vulgaire, avec les données sensibles. On a distingué entre les faits bruts et les faits scientifiques, et mis les faits bruts en dehors de la science.

Cette thèse, Poincaré ne l’accepte en aucune façon. Il admet bien, avec tout le monde d’ailleurs, que le fait tel qu’il résulte des observations et des expérimentations de laboratoire, n’est pas ce qui apparaît au sens commun, aux sens de l’homme dépourvu de toute culture scientifique. Mais ce que le savant voit dans son laboratoire, il le perçoit dans le fait tel qu’il apparaît à tout le monde, et par suite c’est ce fait commun, ce fait brut qui le lui impose. Tout ce qu’il dira de ce fait est la traduction dans un langage spécial[1], de propriétés et de rapports réellement donnés dans l’apparence sensible. En face du fait brut, le savant ne pouvait ni percevoir, ni parler autrement. Tels faits bruts entraînent nécessairement tels faits scientifiques et non d’autres. Autrement dit, toutes les constructions de la physique expérimentale sont engendrées non par des actes de pensée, mais par l’enchaînement des phénomènes naturels. Il n’y a plus là création esthétique ou utilitaire, il y a subordination de la pensée à un ordre naturel et extérieur, à quelque chose d’objectif ; il y a tout au moins traitement d’une matière qui est imposée, et le traitement de cette matière fournit des résultats qui dépendent de cette matière, avec nécessite[2].

  1. Poincaré, Revue de Métaphysique, mai 1902, p. 270, 271.
  2. Poincaré, Revue de Métaphysique, mai 1902, p. 266.