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LA CRITIQUE DU MÉCANISME : L’ATTITUDE HOSTILE.

serait contredite par l’observation, parce qu’elle serait physiquement fausse. Le domaine de la théorie a pour objet d’offrir une description symbolique, un schéma aussi étendu, aussi complet et aussi détaillé que possible, du domaine des faits d’expérience. Pour que la théorie ne soit pas un langage dénué de sens, un pur jeu de formules, il faut qu’une clé fasse correspondre le symbole à la réalité, le signe à la chose signifiée ; il faut que l’on puisse traduire les formules théoriques en faits d’expérience. L’étude de cette clé ressortit au troisième domaine dont la connaissance s’impose au physicien, au domaine des instruments et des procédés de mesure[1]. »

La théorie physique mérite bien le nom caractéristique que nous lui avons donné, car en elle-même, elle est purement formelle ; elle doit rester, comme théorie, un jeu abstrait d’expressions mathématiques. Mais au terme ce jeu prend un sens grâce à un ensemble de mesures, qui permettent de repérer la réalité ; il faut alors que nos formules nous donnent des résultats coïncidant aussi complètement que possible avec ce repérage réel.

5. — Alors, pourquoi doubler d’une théorie l’ensemble des recherches expérimentales ? N’est-elle pas une superfétation inutile, une stérile dépense des efforts du savant ? Nous savons déjà que tel n’est pas l’avis de Duhem. Le moment est venu de voir comment il motive cet avis, et de retracer — toujours à sa suite — son système épistémologique, sa logique des sciences physico-chimiques.

Il distingue les sciences en deux groupes, celles où l’observation pure et simple est possible (biologie) et celles où l’expérience est toujours interprétation abstraite et symbolique et n’a de sens qu’à travers une théorie. Les sciences physiques font partie de ces dernières : les résultats de l’observation sensible n’y peuvent être énoncés, qu’on le veuille ou non, qu’à travers un artifice théorique ; c’est d’ailleurs le sort de toute science quelque peu avancée. « Au fur et à mesure qu’une science progresse, qu’elle s’éloigne de la

  1. Duhem, Lévolution de la mécanique (Revue générale des Sciences, 1903, p. 304).