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L’ANALYSE DES DOCTRINES.

les plus formels de la mécanique rationnelle classique — et on sait que dans ces derniers temps presque tous les exposés (français et allemands du moins) ont été aussi formels que possible — il y avait toujours un appel à l’intuition expérimentale pour poser les principes fondamentaux. Or, voilà qu’un savant trouve que cette mécanique ne s’accorde pas avec la généralité des faits, demeure trop loin des réalités physico-chimiques. Il propose à sa place un système où, de parti pris, nous ne rencontrons plus aucun appel à l’expérience, si ce n’est lorsque la théorie est achevée complètement. Si bien que la réalité a l’air de se déduire de ses formules, et non pas ses formules de la réalité.

Le chemin suivi dépend uniquement de la convention, et la convention, du choix du savant. Rien ne limite cet arbitraire. La physique théorique serait condamnée à une faillite certaine, si des préoccupations réelles intervenaient dans l’élaboration de la théorie. Bien entendu, l’arbitraire doit être rationnel. Donner libre champ à l’hypothèse ne signifie pas laisser la porte ouverte à l’absurdité et à la contradiction. Bâtir une théorie serait alors une œuvre inutile. Non, la théorie rendra les services que le physicien est en droit d’en attendre, à cette condition absolue : son point de départ clairement déterminé, elle se déroulera avec une inflexible logique. Seulement le point de départ dépend de conventions, arbitrairement choisies, pourvu qu’elles soient respectées jusqu’au bout. Et entre ce point de départ et ce point d’arrivée tous les chemins seront bons, pourvu que sans coups de pouce, ou sans hiatus, le calcul se développe conformément aux règles de la mathématique.

La théorie scientifique chez Duhem, est, comme il le dit avec complaisance, un schème algébrique. La science théorique est un mathématisme. Et par là il rejoindrait Descartes ou Leibniz, fondateurs de ce mécanisme qu’il combat cpendant sur tous les points, puisqu’ils avaient l’ambition d’une mathématique universelle à laquelle se réduiraient toutes les lois du monde matériel. Mais l’arbitraire qui préside au matliématisme de Duhem montre facilement que