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L’ANALYSE DES DOCTRINES.

2. — On pourrait objecter, Duhem le sait bien, que si peut-être la mécanique classique ne semble pas suffire à une interprétation de l’univers, c’est qu’en l’état actuel, cet univers est encore, malgré les progrès de la science, bien mal connu. Presque infinie est la part de notre ignorance si on la compare au domaine de nos certitudes. La plus petite molécule perceptible est un système cosmique rapportée à l’atome élémentaire des théories mécaniques.

Aussi sommes-nous consciemment obligés de faire intervenir des hypothèses grossières et vagues, à la place du mécanisme réel, dont la complication et la délicatesse défient encore nos plus hardies inductions. Ces hypothèses n’exprimeront les choses qu’en gros ; elles resteront à la surface des phénomènes, elles traduiront des résultats lointains, des activités globales. Leurs mailles paraissent trop larges pour retenir le réel. Mais si, un jour, — et nous nous avançons vers ce jour, quelque lointain qu’il soit, — nous pouvons pénétrer les derniers détails du mouvement, rien ne nous prouve qu’ils ne seront pas régis rigoureusement par les lois de la mécanique traditionnelle. Nos hypothèses font intervenir, pour produire l’explication mécanique, des mouvements cachés, un équilibre statistique, c’est-à-dire des approximations grossières, pour équivaloir à ce que notre science ne sait pas encore atteindre. Mais les mouvements cachés, nous finirons par les rendre visibles, l’équilibre statistique, nous le déduirons exactement de ses composantes. Ce jour-là peut fort bien nous montrer l’obéissance complète de l’univers matériel à la mécanique de Lagrange. La mécanique de Lagrange sera coextensive à l’univers.

Duhem prétend que cette espérance est illusoire, parce que ce ne sont pas seulement dans les formules où interviennent les mouvements cachés, les équilibres statistiques que nous voyons des hiatus, des lacunes ou des incohérences. C’est déjà dans la prétendue explication des phénomènes sensibles les plus simples et les plus immédiatement donnés à l’observation.

« Une observation quelque peu attentive des phénomènes