Page:Rey - La théorie de la physique chez les physiciens contemporains, 1907.djvu/158

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
136
L’ANALYSE DES DOCTRINES.

manifeste aussi bien, dès que nous considérons plusieurs moments successifs. La physique théorique redevient ainsi un jeu illusoire de l’esprit. Il y a peut-être à chaque instant une physique théorique plus commode, partant plus acceptable dans un état donné de la science, état essentiellement passager et transitoire ; mais si nous nous élevons au-dessus des contingences actuelles, nous retrouvons une possibilité indéfinie d’hypothèses théoriques. Il faut donc que Duhem complète sa conception, pour qu’elle soit vraiment cohérente et originale, pour qu’elle ne se confonde pas avec ce néo-scepticisme qu’il combat.

C’est ce qu’il fait en appelant à son secours sa merveilleuse érudition d’historien des sciences physico-chimiques. La physique théorique ne nous présente nullement un ensemble d’hypothèses divergentes ou contradictoires. Elle offre, au contraire, à qui en suit attentivement les transformations, un développement continu, une véritable évolution. La théorie qui paraît suffisante à un moment donné de la science ne tombe pas intégralement, dès que le champ de la science s’est élargi. Bonne pour expliquer un certain nombre de faits, elle continue à rester valable pour ces faits. Seulement elle ne l’est plus pour des faits nouveaux ; elle n’est pas ruinée ; elle est devenue insuffisante. Et pourquoi ? Parce que notre esprit ne peut saisir le complexe qu’après le simple, le plus général qu’après ce qui l’était moins. Aussi avait-il, pour ne pas se perdre dans les détails trop compliqués qui lui masquaient les relations exactes des choses, négligé certaines modalités, restreint les conditions de l’examen, réduit le champ de l’observation et de l’expérimentation. La découverte scientifique, si l’on sait bien la comprendre, ne fait qu’élargir à mesure ce champ, lever peu à peu certaines restrictions, réintégrer les considérations jugées d’abord négligeables.