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LA CRITIQUE DU MÉCANISME : L’ATTITUDE HOSTILE.

choisi tels ou tels éléments et négligé les autres ; pratiquement nous les avons enchaînés dans cet ordre et non dans cet autre ; nous avons visé une fin pratique particulière. Ce scepticisme technique conserve donc bien les théories scientifiques, mais les considère comme des hypothèses, admises conventionnellement entre une infinité d’autres possibles ; la science entière n’est qu’un ensemble d’hypothèses du même genre.

Cette conclusion, Duhem la repousse aussi vivement que la conclusion empirique[1]. La théorie n’est pas un artifice ingénieux pour classer nos connaissances d’une façon aisée, semblable à l’ordre conventionnel adopté pour arranger nos livres ou nos fiches. Elle a un rapport certain avec la réalité, c’est-à-dire avec les constatations expérimentales — la preuve en est que l’expérience doit intervenir finalement pour la confirmer ou l’invalider. Ce qui est arbitraire, c’est tout ce qui va nous permettre de faire correspondre l’ordre de nos pensées à l’ordre réel. Mais ce qui ne l’est plus, c’est la correspondance elle-même. Tant que nous développons la théorie, nous avons, ouverts devant nous, les chemins les plus divers et les plus multiples, comme un voyageur qui, sans indication, se trouve à un carrefour. Mais il y a une route qui, parmi toutes les autres, le mènera au terme de son voyage. Il peut même y en avoir plusieurs ; seulement il en sera encore une plus courte, ou mieux tracée, ou mieux entretenue. Une fois arrivé au terme, on pourra déterminer cette route d’une façon certaine. Au lieu donc de prétendre avec les néo-sceptiques que tout chemin mène au but, nous devons dire qu’il y aura un développement théorique qui, mieux que tout autre, correspondra à l’ordre des phénomènes que nous voulons décrire.

Il y aura ainsi un ensemble de théories qui s’imposera, au moins dans les lignes générales, à l’exclusion de tout autre. Il constituera la physique théorique ; celle-ci sera déterminée et une, et non arbitraire et multiple. À son achèvement, dès qu’elle est confrontée avec l’expérience,

  1. Duhem, Physique de croyant (Annales de philosophie chrétienne, novembre 1905, p. 137).