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L’ANALYSE DES DOCTRINES.

sociation nouvelle, bien que la pensée poursuive toujours un but utilitaire, puisqu’elle cherche à s’adapter, et à nous adapter à l’objet, elle se rapproche, au contraire, progressivement — sans jamais peut-être les atteindre — des données véritables et pures, des données primitives de l’expérience : des sensations.

Ces sensations, son, couleur, odeur, résistance, pression, mouvement, température, durée, étendue, ne sont pas d’ailleurs le terme de la recherche scientifique. Elles n’ont par elles-mêmes rien d’absolu et d’immuable : l’idée de quelque chose d’absolu, d’immuable, l’idée de substance est une idole métaphysique, la plus dangereuse de toutes. La pensée scientifique, la pensée en quête de ce que nous appelons vérité, doit la proscrire. L’analyse des sensations de Mach n’est donc pas la décomposition de la représentation complexe et confuse de la perception primitive, en sensations élémentaires, la recherche de données simples dont les phénomènes perçus seraient la résultante. La méfiance que Mach a du mécanisme, la lutte qu’il a engagée avec lui, ont vraisemblablement pour origine ce fait que le mécanisme s’est prêté trop volontiers, antérieurement à notre époque, à retrouver des éléments substantiels simples qui, par leur composition, reproduisent les phénomènes physico-chimiques. N’est-ce pas, en effet, le caractère définitif de la période déductive et figurative qui commence avec Newton, dans les sciences de la nature ?

Mach reste profondément sous l’influence de la psychophysique[1]. Il conçoit la sensation, comme elle : la sensation est quelque chose de relatif. Une sensation n’est ce

  1. On sait que la loi psychophysique (loi de Fechner) établit que pour qu’une sensation semble prendre une intensité, plus grande, il faut que l’excitation soit d’autant plus forte que la sensation considérée est elle-même plus forte. L’augmentation d’intensité d’une sensation, ou plus exactement l’apparition d’une sensation plus intense est donc relative à l’intensité de la sensation précédente. Ajoutez 2 grammes à 2 grammes, vous sentez l’augmentation de poids. Ajoutez 2 grammes à 1 kilogramme, vous ne sentez plus rien du tout. Il faut ajouter à peu près 300 grammes, d’après l’expérience, pour que l’on s’aperçoive que le poids primitif de 1 kilogramme a augmenté.