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LA CRITIQUE DU MÉCANISME : L’ATTITUDE HOSTILE.

constituent généralement. La connaissance instinctive, involontaire des phénomènes de la nature précède toujours leur’connaissance consciente, scientifique, c’est-à-dire la recherche des phénomènes… L’acquisition des connaissances les plus élémentaires n’est certainement pas le fait de l’individu seul, mais elle est préparée par le développement de l’espèce[1]. »

Mach en donne pour preuve le développement de la statique, en particulier, les travaux d’Archimède, de Stévin, de Galilée, de Bernouilli. Il insiste sur ce point que les démonstrations données par ces géomètres des principes fondamentaux de la statique sont illusoires. Elles les éclaircissent, les explicitent. Mais ces principes impliquent toujours un appel à l’observation. Ce n’est pas la démonstration, c’est l’expérience, une expérience latente qui les fonde. Toutes les démonstrations essayées contiennent d’une façon plus ou moins détournée le principe en question. Elles ne valent elles-mêmes que par ce principe, instinctivement présent dans l’esprit du savant. Quant aux origines de ces principes, de ces croyances instinctives, elles sont évidemment dans l’expérience de l’espèce. Le savant ne fait que les préciser et les formuler logiquement.

Certes, il y a dans les progrès de la science une indéniable contingence. Les principes les plus importants de la statique ont été acquis par la considération de l’équilibre des corps solides. Cette marche est celle qui a été historiquement suivie, mais elle n’est en aucune façon la seule possible et nécessaire. Les différentes méthodes qu’Archimède, Stévin, Galilée et d’autres ont employées, nous le prouvent suffisamment ; cette constatation s’impose à tout historien critique. Les complexes développements de la pensée scientifique dépendent dans une certaine mesure du hasard, de même que le développement d’une société déterminée. L’ordre évolutif a toujours des causes fortuites.

Mais il ne faut pas se méprendre sur la puissance de ces causes. Elles n’agissent pas à vide. Elles agissent sur une matière antérieurement donnée. Il en résulte qu’elles

  1. Mach, La Mécanique, tr. fr., p. 7.