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L’ANALYSE DES DOCTRINES.

nitions arbitraires ? En aucune façon. Les conventions fondamentales d’un langage suggéré par l’expérience ? Pas davantage. Ou, s’il y a suggestion, c’est une suggestion latente et inconsciente dont la nature et la forme sont tout à fait différentes, si différentes que l’assimilation avec ce que l’on entend par suggestion est impossible.

Il s’agit avec Mach d’une influence directe de l’expérience, à peu près comme pour l’empirisme anglais, pour Stuart-Mill en particulier ; c’est une habitude que l’esprit contracte en s’adaptant au milieu naturel dans lequel il évolue, et qu’il apprend à connaître[1]. L’expérience dessine en quelque sorte, par les traces qu’elle laisse dans notre esprit, les principes généraux de la physique et les grandes lignes de la systématisation, comme un fleuve creuse son lit, par l’action lente et continue des eaux qu’il roule. Cette influence latente, mais ininterrompue, de l’expérience sur tout le développement de la science ne préside donc pas seulement aux découvertes particulières, mais encore à la systématisation et à la forme dernière et définitive que celle-ci tend à prendre. On voit tout de suite, en même temps que l’importance et la valeur des principes fondamentaux, leur degré de certitude et leur haute valeur objective. Ce n’est pas du reste sur l’esprit individuel du savant et sur le génie scientifique qu’agit ainsi l’expérience, mais sur l’intelligence de la race, et sur le génie de l’espèce. Si bien que les principes de la physique dépendent de la constitution de l’esprit humain, qu’ils ne peuvent être autres qu’ils ne sont, et que la physique théorique se trouve fondée sur un empirisme héréditaire voisin de la psychologie spencérienne[2], et qui se rapproche de la nécessité logique, comme la courbe de son asymptote.

Le développement primitif de la mécanique, sa préhistoire, fournit d’après Mach, « un exemple simple et suggestif du processus par lequel les sciences de la nature se

  1. Mach, Populär-Wissenschaftliche Vorlesungen (Essai sur la transformation et l’adaptation de la pensée scientifique), p. 243 sq., et aussi, p. 16, 75, 219.
  2. Id., pp. 221, 222. — Die Principien der Wärmelehre, p. 67 et 68, 407. — Populär-Wiss. Vorles., p. 16, 219, 251.