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LA CRITIQUE DU MÉCANISME : L’ATTITUDE HOSTILE.

générale a un aspect caractéristique, qu’elle devra perdre dans la suite pour atteindre les dernières limites de la positivité. Cette méthode est une méthode de déduction synthétique, analogue à la méthode géométrique d’Euclide ; elle repose sur des hypothèses moléculaires et mécanistes qui jouent en physique le rôle des intuitions spatiales, des figures de la géométrie grecque. Newton l’applique dans ses Principia philosophiæ naturalis. Elle consiste à déduire les conséquences de quelques faits positifs fondamentaux, à partir desquels, à l’aide de constructions rationnelles, on se forme des images génériques, capables d’épargner un continuel recours à l’observation. En les composant entre elles, on en déduit des cas plus complexes et plus spéciaux, ou les extensions normales. Mais déjà, dans la mécanique, où les constructions géométriques forment pourtant un outillage suffisant, l’application de la méthode synthétique conduit souvent à des artifices et à des complications inutiles[1]. Laplace remarque que la découverte des théorèmes de Newton, selon la voie d’après laquelle il les expose, n’est pas vraisemblable. Son exposition est moins sincère que celle de Galilée et de Huyghens. Les nécessités de la rigueur logique l’ont amené, par cette manière de faire, à une disposition générale qui se prête à la démonstration, qui agrée à la raison, mais qui se trouve bien loin des relations expérimentales et de l’arrangement naturel des choses.

Aussi, sans se départir des règles posées par l’évolution de l’esprit scientifique depuis la Renaissance, a-t-on pu légitimement chercher à les mieux appliquer. L’esprit scientifique qui veut tout expliquer par des raisons naturelles et intelligibles, qui veut nous donner une compréhension réelle des choses, des représentations claires et distinctes, peut se satisfaire autrement et mieux que par la méthode synthétique[2] et géométrique.

Descartes n’a-t-il pas pu affranchir la géométrie des limitations que lui imposaient la considération des figures, le matériel et l’outillage de la démonstration euclidienne, et

  1. Mach, Die Principien der Wärmelehre, p. 429
  2. Id., pp. 456, 457.