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LA CRITIQUE DU MÉCANISME : L’ATTITUDE HOSTILE.

Cette libération est surtout l’œuvre de la mécanique. Elle se présente à l’historien, comme l’affranchissement de l’esprit scientifique, comme l’avènement définitif et incontesté du positivisme, au sens large du mot. On pourra réduire ensuite la mécanique à n’être qu’une systématisation partielle de la physique. Il n’en reste pas moins qu’elle est dans cette mesure l’expression de l’esprit scientifique précis et net, pur de tout mélange. Il n’en reste pas moins qu’elle est dans son domaine l’expression de la saine tradition scientifique telle qu’elle sera continuée par toute science digne de ce nom. Si la science ajoutera aux principes et à la construction de la mécanique, si elle les dépas-

    toute la mécanique sur le principe de la moindre action d’Euler, reprit à nouveau le même sujet et déclara qu’il voulait s’abstenir entièrement de toutes spéculations théologiques, comme très nuisibles et absolument étrangères à la science. Il reconstruisit la mécanique sur d’autres bases, et aucun esprit compétent ne peut nier la supériorité du nouvel exposé. Après Lagrange, tous les hommes de science adoptèrent sa manière de voir, et c’est ainsi que fut déterminée dans son principe, la position actuelle de la physique vis-à-vis de la théologie.

     » Environ trois siècles furent donc nécessaires pour que l’idée de la distinction complète entre la physique et la théologie se soit entièrement développée, depuis son premier germe chez Copernic jusqu’à Lagrange.

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     » Le préjugé se dissipa peu à peu, lentement, à mesure que les grandes découvertes géographiques techniques et scientifiques du XVe et du XVIe siècles agrandissaient l’horizon, et que se dévoilaient les domaines où l’ancienne conception se trouvait impuissante, parce qu’elle s’était formée antérieurement à leur acquisition. La grande liberté de pensée qui se manifeste dans des cas isolés, à l’aube du moyen âge, chez les poètes d’abord et les savants ensuite, reste cependant toujours difficile à comprendre. Le progrès intellectuel à cette époque doit avoir été l’œuvre d’un très petit nombre de penseurs isolés vraiment extraordinaires, dont les idées ne devaient tenir que par des fils bien ténus aux conceptions populaires, et étaient bien plus propres à bousculer et à violenter celles-ci qu’à en amener la transformation. Ce n’est que dans les écrits du XVIIIe siècle que l’œuvre d’éclaircissement semble gagner du terrain. Les sciences humanitaires, historiques, philosophiques et naturelles se touchent et se prêtent un mutuel secours dans la lutte pour la pensée libre. Celui qui, à travers la littérature seulement, a pu participer à cet essor et à cette libération, conserve toute la vie pour le XVIIIe siècle un sentiment de mélancolique regret. » (Mach, La Mécanique, tr. fr., 427, 19.)