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un des brillants professeurs titulaires de la Faculté et membre de l’Académie de médecine.

C’était un brillant disciple de l’école de Trousseau.

Notre malade du numéro 9, était originaire de la Bretagne, et, selon un usage malheureusement trop répandu dans les pays à cidre, on a l’habitude, en Bretagne, de boire beaucoup d’eau-de-vie sous le prétexte de digérer la froide boisson de la pomme. De plus, elle avait été pêcheuse de crevettes et les pêcheurs croient se réchauffer en buvant une goutte et réparer leur dépense de force par l’alcool.

Jeune, jolie, avenante, intelligente, un jour en revenant de la pêche, elle entra au service d’un gouverneur des colonies dont le frère était un de nos amiraux illustres. Active et d’une probité à toute épreuve, douée d’aptitudes spéciales qui se révélèrent dans le service, elle remplit bientôt à la cuisine les fonctions de chef.

Mais le fourneau dévore, épuise, altère, et par une sorte de malignité des choses enlève tout appétit à celui qui fait manger les autres.

Dans une grande maison, la tâche est écrasante, il faut pourtant bien se soutenir et alors on boit, et plus on boit, moins on mange, moins on mange plus on boit.


Le gouverneur des colonies avait fait un séjour de cinq ans en Océanie et, dans ce voyage lointain, l’avenante bretonne avait suivi la maison à laquelle elle était liée par le plus vif attachement et dans laquelle elle était aimée et estimée comme ces bons serviteurs qui finissent par être de la famille. Mais elle eut beau changer de climat, dépasser l’équateur, séjourner cinq ans aux antipodes, son démon secret la suivit partout.

Elle revint en France, elle continua.

Depuis quinze ans, elle s’alcoolisait chroniquement, discrètement, pour ainsi dire, sans s’apercevoir d’un changement notable dans sa santé, quand tout à coup, les matins, elle fut prise de malaises particuliers aux alcooliques.

Enfin, lorsqu’elle était entrée à l’hôpital, c’était une constitution ruinée ; elle avait la gastrite chronique des buveurs.


Arrivant à l’état présent : « elle ne peut plus rien digérer poursuivit le professeur suppléant, elle a de l’albuminurie, de l’enflure des jambes, de la faiblesse de la vue, une difficulté énorme à respirer et elle expectore souvent des crachats sanglants. On a essayé de lui donner du lait pour réparer ses forces, son estomac ne peut même plus tolérer le lait. C’est une malheureuse qui est empoisonnée par l’eau-de-vie dans tous ses organes. Elle est malade par le foie, par le rein, par l’estomac. Les poumons aussi sont atteints ; de plus, il s’est produit dans la plèvre un énorme épanchement de liquide qui menace de l’étouffer. Le cœur a éprouvé la dégénérescence qui accompagne toujours l’abus de l’alcool et enfin le sang a