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En automne 1868[1], je me trouvais à Lucerne : je passais presque toutes les journées et les soirées chez Richard Wagner.

Le grand novateur vivait très retiré, ne recevant guère qu’un couple d’aimables écrivains français (mes compagnons de voyage[2]) et moi. Depuis une quinzaine, environ, son admirable accueil nous avait retenus. La simplicité, l’enjouement, les prévenances de notre hôte nous rendirent inoubliables ces jours heureux : une grandeur natale ressortait pour nous du laisser-aller qu’il nous témoignait.

On sait en quel paysage de montagnes, de lacs, de vallées et de forêts s’élevait, à Triebchen, la maison de Wagner.

Un soir, à la tombée du crépuscule, assis dans le salon déjà sombre, devant le jardin, — comme de rares paroles, entre deux silences, venaient d’être échangées, sans avoir troublé le recueillement où nous nous plaisions, — je demandai, sans vains préambules, à Wagner, si c’était pour ainsi dire, artificiellement – (à force de science et de puissance intellectuelle, en un mot) – qu’il était parvenu à pénétrer son œuvre, Rienzi, Tannhaeuser, Lohengrin, Le Vaisseau Fantôme, Les Maîtres Chanteurs même – et le Parsifal auquel il songeait déjà – de cette si haute impression de mysticité qui en émanait, — bref, si, en dehors de toute croyance personnelle, il s’était trouvé assez libre-penseur, assez indépendant de conscience, pour n’être chrétien qu’autant que les sujets de ses drames-lyriques le nécessitaient ; s’il regardait, enfin, le Christianisme, du même regard que ces mythes scandinaves dont il avait si magnifiquement fait revivre le symbolisme de ses Niebelungen. Une chose, en effet, qui légitimait cette question, m’avait frappé dans une de ses œuvres les plus magistrales, Tristan et Yseult : c’est que, dans cette œuvre enivrante

  1. Note wikisource. — Villiers de L’Isle-Adam commet une erreur de date. Il s’est rendu à trois reprises à Lucerne auprès de Richard Wagner, en compagnie de Catulle Mendès et de Judith Gautier : deux fois en 1869 (une semaine fin juillet, du 16 au 25, et une autre mi-septembre, du 13 au 18 ou 19) et une fois en 1870 (du 19 au 30 juillet).
  2. Note wikisource : il s’agit de Catulle Mendès et de Judith Gautier.