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M. PIERRE TERMIER. — L’ATLANTIDE

sédiments venus des deux continents du Nord et du Sud s’accumulaient sur d’énormes épaisseurs, le mouvement s’est, en effet, propagé, qui a donné naissance, en Europe, pendant les temps tertiaires, à la chaîne des Alpes.

Jusqu’où s’est étendue, dans la région atlantique, cette chaîne tertiaire, cette chaîne alpine ? Et quelle a été, toujours dans la même contrée aujourd’hui océanique, l’ampleur de ses dénivellations ? Des fragments de la chaîne sont-ils montés assez haut pour se dresser, quelques siècles durant, au-dessus des ondes, avant de rentrer, soudainement ou lentement, dans la nuit sans étoiles ? Les plis des Alpes et de l’Atlas se sont-ils propagés jusqu’à la mer des Antilles ? Et faut-il admettre, entre nos Alpes et la Cordillère des Antilles — qui n’est elle-même qu’une avancée sinueuse de la grande Cordillère des Andes —, une liaison tectonique, comme nous admettons — depuis que Suess nous l’a montrée — une liaison stratigraphique ? Questions encore sans réponse. M. Louis Gentil a suivi, dans l’Atlas occidental, les plis de la chaîne tertiaire jusqu’au rivage de l’océan, et il les a vus, ces plis, s’abaissant graduellement, s’ennoyant, comme disent les mineurs, descendre dans les flots : la direction qu’ils ont, sur cette côte d’Agadir et du cap Ghir, est telle que, prolongés par la pensée, ils nous conduiraient aux Canaries. Mais pour avoir le droit d’affirmer que les Canaries sont des fragments surélevés de l’Atlas englouti, il faudrait avoir observé des plis dans leurs dépôts crétacés : et je ne crois pas que cette observation ait été faite. L’Atlas, comme chacun sait, est seulement l’une des branches de la grande chaîne tertiaire ; il est le prolongement dans le Nord de l’Afrique du système montagneux de l’Apennin. Quant aux vraies Alpes, qui sont la branche principale de la même chaîne, on les suit sans peine jusqu’à la Sierra-Nevada et jusqu’à Gibraltar. Par dessous le détroit de Gibraltar, elles se réunissent au Rif. Mais le Rif, où quelques géologues veulent voir le prolongement du système alpin tout entier, ne correspond certainement qu’à une partie de ce système : toute une bande septentrionale de plis alpins, sortis de dessous les nappes de la Sierra-Nevada, marche vers l’ouest, au lieu de se diriger vers Gibraltar. Je les vois, sous les terrains récents, traverser l’Andalousie, former une étroite bande sur le côté d’Algarve, et finalement, au cap Saint-Vincent, brusquement coupés et ne manifestant aucune tendance à l’ennoyage, se cacher dans la mer. Leur direction prolongée nous mènerait à Santa-Maria, la plus méridionale des Açores, où l’on connaît des sédiments miocènes, non plissés. Au total, on a de fortes raisons de croire au prolongement atlantique des plis tertiaires, de ceux de l’Atlas vers les Canaries, de ceux des Alpes vers les îles méridionales des Açores : mais rien ne permet encore, ni d’étendre très loin, ni de limiter très près ce prolongement. Les sédiments de Santa-Maria prouvent seulement que, à l’époque miocène, c’est-à-dire quand les grands mouvements alpins étaient terminés en Europe, un rivage de la Méditerranée passait non loin de cette région des Açores, rivage de continent ou de grande île. Un autre rivage de la même mer miocène passait près des Canaries.

De toute façon, la géographie a singulièrement changé dans la région atlantique, au cours des dernières périodes de l’histoire de la Terre ; et l’extrême mobilité du fond de l’océan, manifestée actuellement par une telle multiplicité de volcans et une telle étendue de champs de laves, date assurément de loin. Effondrements pendant les temps secondaires, élargissant la Méditerranée et faisant disparaître les ruines de la chaîne hercynienne ; plissements dans toute la zone méditerranéenne, pendant la première moitié de l’ère tertiaire, modifiant les fonds de cette mer et faisant surgir, ici ou là, près de sa côte septentrionale, des îles montagneuses ; effondrements encore, à partir du Miocène, dans la zone méditerranéenne plissée et dans les deux aires continentales, allant jusqu’à la ruine définitive des deux continents et à l’effacement de leurs rivages ; apparition, alors, dans le fond de l’immense domaine maritime qui résulte de ces affaissements, d’un modelé nouveau, dont la direction générale va du nord au sud, et qui masque ou, tout au moins, affaiblit l’ancienne empreinte ; jaillissement des laves, un peu partout, dans les îles qui subsistent, et qui sont des ruines, et dans le fond même des mers, ce jaillissement étant la compensation nécessaire et inévitable de la descente, si profonde, de pareils morceaux de l’écorce : tel est, en raccourci, l’histoire de l’océan Atlantique depuis quelques millions d’années. Beaucoup d’épisodes de cette histoire ne seront jamais datés de façon précise ; mais nous savons que certains d’entre eux sont tout à fait récents. M. Louis Gentil nous a apporté, à cet égard, de bien intéressantes observations, relevées au long des côtes marocaines. Le détroit de Gibraltar s’est ouvert au début du Pliocène. Déjà, à l’époque tortonienne, la mer baignait le rivage d’Agadir ; et donc, à cette date déjà, Madère et les Canaries étaient séparées du continent. Mais les couches tortoniennes, et même les couches plaisanciennes, sur ce rivage marocain, sont dénivelées et plissées. Il y a donc eu, dans la zone où se prolongeait l’Atlas, des mouvements importants postérieurs au Plaisancien, par conséquent quaternaires. Le chenal qui sépare Madère et les Canaries de la masse africaine s’est