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la grande idée de Lamarck, et se dresse, immortelle, la grande figure de Darwin.

Cessons donc d’opposer l’un à l’autre ces deux génies !

Cessons de rapetisser ces deux colosses en les faisant passer sous la toise !

Lamarck n’est-il pas assez grand par lui-même, et faut-il, pour le grandir encore, humilier devant sa statue ceux dont les noms méritent de figurer auprès du sien dans l’histoire de la Biologie !

Laissons à chacun sa gloire !

Celle de Darwin est immense !

Mais, disons-le bien haut : jamais la pensée humaine ne s’est, par un plus sublime effort, affranchie des entraves de la routine et du préjugé, jamais elle ne s’est élevée plus haut dans les régions sereines du Vrai et du Beau, que le jour où le cerveau de Lamarck enfanta l’idée transformiste.


Y. Delage,
Membre de l’institut,
Professeur à la Faculté des Sciences
de l’Université de Paris.


LA RAMIE

Les fibres textiles de la Ramie (Bæœhmeria nivea Hook. et Arn., Urticacées)[1] sont utilisées depuis fort longtemps. La culture de cette plante en Chine est relatée par de très anciens documents historiques, et, dans l’Inde, il y a plusieurs siècles déjà qu’on connaissait une fibre d’Ortie. Tout au commencement du règne de la reine Élisabeth d’Angleterre, le botaniste Lobel raconte qu’à Calcutta, dans les Indes orientales, les peuples fabriquaient avec les fibres d’une espèce d’ortie un tissu très fin et délicat. La « toile de Hollande », si estimée autrefois, n’était autre chose que de la toile de Ramie, tissée par les industrieux habitants des Pays-Bas, qui, dès la fin du xvie siècle, avaient importé de Java des fibres de ce précieux textile.

Si l’Asie est le berceau de la Ramie et si elle est, aujourd’hui encore, comme nous le verrons, le seul pays qui produise les fibres livrées au commerce européen, il n’est pas sans intérêt de rappeler, sans vouloir les indiquer toutes, que des tentatives de culture de cette plante ont été faites en Europe, à diverses reprises, avec plus ou moins de succès, et aussi dans les autres parties du monde.

Après avoir fait cultiver la Ramie, dès 1845, au Jardin des Plantes de Paris, Decaisne fit tous ses efforts pour en vulgariser la culture. Plusieurs cultivateurs du Midi répondirent à son appel, et la culture a parfaitement réussi dans nos départements méridionaux, mais les cultivateurs ne trouvèrent pas d’acquéreur pour leur récolte.

Des essais faits dans les champs d’épandage de Gennevilliers, en 1889, afin de fournir les tiges nécessaires pour le deuxième concours de machines qui eut lieu à cette époque, ont montré que, même aux environs de Paris, la plante peut donner deux coupes par an. Mais c’est là, à la vérité, un rendement insuffisant, qui ne peut engager à étendre chez nous l’aire de culture de la plante. Cette culture n’est avantageuse, en effet, que si elle peut procurer quatre à six coupes annuelles, et ce résultat ne peut être atteint que si la Ramie est abondamment arrosée. Une chute d’eau annuelle de 2 mètres au moins ; dit M. Jumelle[2], est nécessaire. Il faut aussi que ces pluies soient distribuées sur toute l’étendue de l’année assez régulièrement pour que la végétation soit ininterrompue. Plus le climat sera humide, chaud et uniforme, mieux la culture réussira. C’est ainsi que Sumatra et Java sont les pays d’élection pour la culture de la Ramie, de même l’Inde transgangétique, le centre de Ceylan et la Jamaïque. Partout où l’irrigation est insuffisante et la période de sécheresse trop longue, la culture n’offre pas de chances de réussite.

En 1860, la culture de la Ramie faisait son apparition en Belgique ; en 1870, elle pénétrait en Espagne, mais, dans ces deux pays, comme dans le Portugal, le nord de l’Italie, et la Hongrie, les tentatives n’eurent pas, au point de vue commercial, plus de succès que chez nous. Il en fut de même aux États-Unis, au Guatémala, en Colombie, au Brésil. Au Mexique, des fibres de très bonne qualité ont été obtenues, mais nous ne saurions dire si les espérances fondées il y a cinq ou six ans sur la culture de Ramie dans ce pays se sont réalisées.

Parmi les colonies allemandes, des essais de culture ont été faits en Nouvelle-Guinée et au Cameroun.

De Madagascar et de la Réunion, où nos efforts se sont portés à un moment donné, il n’est jamais rien sorti qui mérite d’être relevé commercialement.

Introduite en Algérie en 1843, la Ramie n’y est pas encore cultivée, pour des raisons multiples, nous écrit M. Trabut, Directeur du service botanique du

  1. MM. Bécus, Secrétaire général de la Société La Ramie, Trabut, Directeur du Service botanique du Gouvernement général de l’Algérie, Bois, Assistant au Muséum, Vaquin et Schweitzer, du Hâvre, et Tassilly, Chef de Travaux à l’École de Physique et de Chimie, ont bien voulu nous fournir sur la question un certain nombre de renseignements, dont nous sommes très heureux de les remercier ici.
  2. H. Jumelle. Les Cultures coloniales. Plantes industrielles. Paris, 1901.