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pale du Muséum est un témoignage enthousiaste de l’admiration des savants des Deux-Mondes. La plupart ont répondu à l’appel du Muséum par des lettres vibrantes accompagnant l’offrande qu’ils adressaient à M. le professeur Joubin, auquel on ne saurait être trop reconnaissant du zèle qu’il a déployé pour le succès de cette œuvre de réparation ; beaucoup, et à leur tête S. A. S. le prince Albert de Monaco, associé étranger de l’Académie des Sciences, ont tenu à ajouter par leur présence au prix d’une manifestation, qui se double, pour notre pays, d’un mouvement de sympathie dont nous sommes à la fois très fiers et très touchés. Je les remercie au nom de l’Institut de France, auquel Lamarck avait appartenu pendant près de quarante ans, au nom du Muséum, au nom des savants français qui nous ont apporté leur concours. En acceptant de présider cette cérémonie, vous avez, Monsieur le Président de la République, donné à la Science française et au Muséum une marque nouvelle et inoubliable de cette incessante bienveillance à laquelle se complaît à votre esprit si hautement libéral, et nous prions les Souverains, dont les représentants vous entourent, MM. les membres du Gouvernement, du Parlement, du Conseil municipal de Paris et du Conseil général de la Seine, qui sont ici, d’être assurés que nous attachons toute sa valeur à ce témoignage d’intérêt pour des Sciences dont les découvertes ont transformé les idées de l’homme sur sa place dans la Nature, son rôle dans le monde, ses devoirs envers lui-même, et fourni des bases nouvelles à ses conceptions sociales.

Les progrès de la mentalité humaine ne semblent pas s’accomplir avec la lenteur uniforme et méthodique, chère aux philosophes de l’harmonie et de l’ordre universel. À de longues somnolences succèdent de brusques réveils durant lesquels une sorte de tumultueuse fermentation semble agiter les esprits les plus divers. La seconde moitié du XVIIIe siècle semble avoir été une de ces périodes d’efforts pour la conquête de formules nouvelles. Tandis qu’en politique le droit de tous les hommes à une égale indépendance s’oppose au droit divin d’un seul à la domination, une armée de philosophes scrute les dogmes intangibles ; les littérateurs secouent le volontaire esclavage dans lequel leurs prédécesseurs du XVIIe siècle tenaient enchaînée leur fantaisie et, pendant que se prépare la chute du trône de France, Lavoisier crée une chimie nouvelle, Laplace publie son Exposition du Système du monde, Carnot pose les bases de la Théorie mécanique de la chaleur, qui va faire crouler la vieille théorie des fluides subtils ; l’électricité fait son entrée dans la Science, et, au Jardin des Plantes même, du Fay appelle l’attention sur sa double nature. Les Sciences naturelles participent superbement à ce renouveau de la pensée humaine. Depuis 1627, un édit de Louis XIII a créé sur la rive gauche de la Seine, presque dans la banlieue de Paris, un établissement dont le rôle essentiel est de substituer à l’étude des livres celle des choses. Nulle part, on n’est mieux préparé à ouvrir des voies nouvelles, à embrasser de vastes horizons. C’est là qu’apparaît Buffon, non pas le Buffon styliste, réduit à l’usage de la jeunesse par les professeurs de rhétorique, mais le puissant et profond penseur qui demande à la Terre elle-même l’histoire de sa formation, la devine issue du Soleil, duquel l’a détachée, toute lumineuse et bouillonnant, quelque astre errant ; la suit dans son refroidissement et, lorsqu’en elle le feu a achevé son œuvre, la met aux prises avec cette autre puissance formidable de transformation, l’Océan ; calcule l’immensité des érosions produites par les vagues, démontre l’étendue des déplacements de la masse des eaux qui, jadis, submergeaient les montagnes, et, devant l’énormité des dépôts manifestement formés dans ses abîmes, affirme que les jours de la Genèse n’ont pu suffire à une telle édification, que ces jours ont été de longues périodes, les Époques de la Nature, au cours desquelles est apparue la vie ; cette apparition a dû être luxuriante comme l’atteste l’épaisseur des amas de débris charriés par les cours d’eau et dont l’accumulation a formé la houille. C’est là l’œuvre gigantesque. Cette œuvre, où tant de grands problèmes ont été agités et souvent résolus, qui fondait une science nouvelle, la Géologie, en prévoyait une autre, la Paléontologie, qui dotait la première d’une méthode à laquelle elle est revenue après un long détour ; cette œuvre aurait dû laisser une trace profonde ; éclipsée par l’étincelante Histoire naturelle des animaux, qu’elle encadrait en quelque sorte, elle fut engloutie avec l’ancien régime. Nous devions la rappeler aujourd’hui, parce qu’elle éclaire une partie de celle de Lamarck, et parce que le deux-centième anniversaire de la naissance de Buffon est encore tout proche ; ses admirateurs avaient espéré célébrer glorieusement cet anniversaire dans ce Jardin des plantes qui lui doit son essor ; les circonstances ne l’ont pas permis. Mais le moment viendra de glorifier comme il convient cette grande mémoire et de donner au sculpteur Carlus, qui a reproduit d’une admirable façon l’impressionnante majesté des traits du grand naturaliste, tous les éloges que mérite son talent.

Avec la Révolution commence une ère nouvelle. Les choses ont changé de nom. Le vieux Jardin des plantes médicinales est devenu le Muséum national d’Histoire naturelle, où tous les professeurs considèrent comme un devoir de reconnaissance de faire