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milliers et des milliers de siècles pour former les puissantes assises de l’écorce terrestre, dont les plus anciennes, déposées sous les eaux, dépassent dix mille mètres d’épaisseur, et on doit reculer jusqu’à ces époques lointaines l’apparition de la vie ; les êtres vivants n’ont pas créé les matériaux de ces assises, mais ils ont pris réellement une part importante à leur accumulation. La Terre a sans doute fait partie d’un même astre que le Soleil, comme le pensait Buffon, et, depuis qu’elle s’est consolidée, les eaux ont bien été les grandes ouvrières des remaniements de sa surface ; l’Océan a promené ses vagues, comme le pensait Lamarck, sur toutes les parties du globe ; non seulement il a occupé l’emplacement des plus hautes chaînes de montagnes, mais leurs lignes de faîte ont autrefois formé ses parties les plus profondes. Les climats ont changé ; celui de notre pays a été tour à tour tropical ou glacial, et l’on ne sait encore quelle part revient de ces changements aux modifications de forme et de position de l’orbite de la Terre, au déplacement de son axe de rotation, au mode de répartition des continents et des mers, ou même au rétrécissement du Soleil. Enfin, toute une organisation météorologique s’évertue à démêler ces lois des mouvements de l’atmosphère que Lamarck a essayé de saisir ; elle n’a évité ses mécomptes qu’en se bornant jusqu’ici à prédire le temps qu’il fait.

Les êtres vivants se transformaient à mesure que se transformaient la surface du globe qu’ils habitaient. Non seulement d’innombrables formes qu’on ne connaît plus aujourd’hui, infiniment petits ou monstres stupéfiants, ont été exhumées, mais souvent leur filiation a pu être établie, comme l’a fait Albert Gaudry dans ses poétiques Enchaînements du Monde animal ; c’est en abandonnant Cuvier et en faisant le plus large usage des principes de Lamarck que l’Anatomie comparée et l’Embryogénie sont parvenues à donner les lois de ces transformations et à en déterminer les causes, auxquelles l’Homme lui-même ne paraît pas avoir échappé.

Devant ce renversement général des idées que l’opinion commune considérait comme inébranlables du temps de Cuvier, on peut se prendre à douter de tout ce que la Science croit avoir établi de vérités. Les mathématiciens n’y voient aucun inconvénient ; si demain les lois du monde venaient à changer, ils ont des formules toutes prêtes pour expliquer ce qui arriverait, ou tout au moins en rendre compte après coup. Penchés sur la matière, plus étroitement liés à ses contingences, les autres savants se résigneraient moins facilement, et ils espèrent que l’œuvre édifiée par leur patience et leur courage, à travers tant de vicissitudes, n’est pas de celles que l’anéantissement d’un talisman fait disparaître. Sans doute, les hommes de génie qui l’ont construite n’en ont pas façonné d’un seul coup, les matériaux : tous se sont trompés, même les « génies sans pairs » de Cuvier, et tous se tromperont toujours parce que tous ont une imagination puissante et qu’une telle imagination entraîne toujours trop loin dans le domaine du rêve ; mais tous ont agrandi le domaine de la Science parce qu’ils disposaient d’une ample provision de faits, amassée avant eux ou par eux, et d’une forte raison pour en tirer le meilleur parti. C’est aux modestes que nous sommes à dégager de leurs écrits, avec une respectueuse admiration, les vérités définitives qu’ils contiennent, et notre reconnaissance doit aller tantôt à leur imagination, tantôt à leur raison.

En parlant de l’œuvre philosophique de Lamarck, Cuvier disait : « Un pareil système appuyé sur de pareilles bases peut amuser l’imagination d’un poète ; un métaphysicien peut en dériver toute une génération de systèmes, mais il ne peut soutenir l’examen de quiconque a disséqué une main, un viscère ou seulement une plume. » Le grand anatomiste, le savant qui s’enorgueillissait de son esprit positif se trompait, et encore une fois, c’est le pêcheur de Lune qui avait raison.


Edmond Perrier
Membre de l’Académie des Sciences
et de l’Académie de Médecine,
Directeur du Muséum national
d’Histoire naturelle.
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SUR LES AVANTAGES
de la
FABRICATION MÉCANIQUE DU PAIN[1].

Dans la plupart des fournils parisiens — et sans doute des fournils français — la préparation de la pâte s’opère encore par les bras des gindres, et la question continue à se poser du danger que fait courir au consommateur la souillure du pain par des microbes pathogènes.

Que cette souillure soit réelle et fréquente, nul ne le conteste. Reste à savoir si les microbes introduits dans le pain ne se trouvent pas détruits par la chaleur du four.

Divers expérimentateurs se sont appliqués à résoudre ce problème, soit en déterminant la température que peut atteindre le pain, soit en étudiant directement l’effet de la cuisson sur des agents pathogènes introduits, artificiellement dans la pâte.

À ma connaissance, les plus récentes de ces expé-

  1. Communication présentée à l’Académie de Médecine dans la séance du 1er juin.