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sions lorsqu’elles mettent également l’atmosphère sous sa domination ? L’atmosphère n’est-elle pas une mer plus fluide, plus mobile, avec des courants, des vagues, des marées, et ses propres tempêtes ne soulèvent-elles pas celles de l’Océan ? Dès sa jeunesse, dès l’époque où il demeurait si haut, dans une rue si étroite de la montagne Sainte-Geneviève qu’il ne pouvait avoir d’autre distraction que de contempler le ciel, ce problème avait tenté Lamarck. Après avoir classé les diverses formes de nuages et leur avoir donné les noms qu’ils gardent encore, il essaye de fixer les lois des vents, des orages et des tempêtes, de rattacher les mouvements de l’atmosphère, non pas tant, comme le vulgaire, aux phases de la Lune qu’aux positions relatives de la Terre et de la Lune sur leurs orbites respectives. Finalement, il prend une telle confiance dans ses calculs, sans cesse remaniés et perfectionnés, qu’il s’aventure à prédire le temps ; il n’est pas le seul à qui cette tentative hardie ait apporté quelque mécompte. Cuvier en profite pour donner à l’auteur de ce vaste système, de ce prodigieux effort qui porte sur la nature entière, une dernière leçon : « Chaque année, dit-il, lui apporte quelque nouveau désappointement, lui apprenant que notre atmosphère est soumise à des influences beaucoup trop compliquées pour qu’il soit encore au pouvoir de l’homme d’en calculer les phénomènes ; mais il finit par renoncer à ces ingrates spéculations, en revenant aux études qu’il n’aurait jamais dû négliger. »

Si Lamarck s’était borné aux études auxquelles Cuvier le renvoyait si doctement, il n’aurait pas été le penseur profond, le créateur d’idées neuves, le grand homme enfin auquel nous élevons aujourd’hui un monument. La classification des plantes, celle même des animaux sans vertèbres, si parfaites qu’on les suppose, n’auraient pas eu le don d’émouvoir une humanité toute frissonnante du désir de connaître le monde, de se connaître elle-même ; tout se tient dans l’œuvre puissante que nous venons d’analyser ; c’est pour avoir médité sur la nature des forces et sur l’évolution de la Terre que Lamarck est arrivé à la notion de l’évolution des êtres vivants.

Au surplus, si la Météorologie a donné quelques leçons de prudence à Lamarck, les progrès de la Science moderne, l’état d’esprit de ceux qui la mènent à ses grandes conquêtes, apprendraient à Cuvier qu’il n’appartient pas au génie lui-même de faire la leçon au génie. Quand deux voyageurs, abandonnant les routes tracées, s’aventurent dans des régions inconnues, comment celui qui, sous les ardeurs torrides du Soleil, explore, le long de fleuves majestueux, les luxuriantes forêts de l’Afrique, pourrait-il conseiller celui qui escalade les pentes désolées des montagnes glacées du Pamir ou du Thibet ?

Tout a changé depuis Cuvier : quel crédit possède encore le principe aristotélique des causes finales, dont il faisait le principe fondamental de l’Histoire naturelle ? À côté de cette splendide galerie de Paléontologie, créée par le maître éminent qu’était Albert Gaudry, si pieusement développée par son élève préféré, M. le professeur Boule, quel naturaliste oserait appliquer ce principe de la corrélation des formes, qui lui servit à reconstituer les animaux fossiles, à la grande admiration de ses contemporains ? N’est-elle pas brisée pour jamais cette baguette enchantée qui évoquait dans l’imagination de ses disciples l’écroulement subit des mondes et leur résurrection, l’anéantissement de tous les êtres vivants et leur remplacement par des êtres nouveaux ou par des étrangers venus de réserves établies, par précaution, en divers points du globe, comme autant d’arches de Noé ? Qui croit encore à la fixité des espèces, ou à la présence dans les œufs d’embryons minuscules, qui n’ont qu’à grandir pour devenir identiques à leurs parents ?

Tout cela est tombé, et la Science moderne n’a pas craint d’aborder hardiment les problèmes réputés périlleux sur lesquels a peiné le grand esprit de Lamarck. Elle aussi a cherché à savoir ce que sont les forces, quelle est la cause des propriétés des corps et quelle est l’essence de la matière. Elle a vu les fluides subtils de l’ancienne Physique, l’électricité, le magnétisme, la chaleur, la lumière, se transformer les uns dans les autres, ou naître simultanément, comme s’ils n’étaient qu’une même substance éminemment polymorphe, ainsi que Lamarck concevait le feu ; elle en a découvert d’autres qu’il soupçonnait ; elle a placé leur cause commune dans les tressaillements intimes, rapides et périodiques d’une substance unique, l’éther, remplissant tout l’espace, et dans laquelle sont, pour ainsi dire, taillés les éléments matériels eux-mêmes ; ceux-ci sont également vibrants, communiquent leurs vibrations à l’éther et sont influencés par les siennes ; c’est pourquoi les prétendus fluides subtils les combinent ou les séparent, et accompagnent de leurs manifestations toutes les réactions qui se produisent entre eux. Depuis Lavoisier, on les croyait immuables et indestructibles et voilà que sous les effluves du radium ils semblent se transformer et pourraient même disparaître ; la matière ne serait plus éternelle ; en revanche, elle serait une et ne serait pas distincte de la force. Lamarck n’aurait jamais osé aller si loin. La durée du temps dont Cuvier contestait le bénéfice à son collègue s’est indéfiniment allongée de par les constatations des géologues ; il a fallu certainement des