Page:Revue scientifique (Revue rose), série 4, année 38, tome 15, 1901.djvu/462

Cette page a été validée par deux contributeurs.
459
M. JEAN PERRIN. — LES HYPOTHÈSES MOLÉCULAIRES.

lique T et vient frapper la lame sensible A d’où jaillissent alors des rayons cathodiques. Les projectiles chargés qui forment ces rayons, heurtant les molécules de l’air humide qui emplit l’appareil, cesseraient bientôt de se mouvoir dans une direction déterminée : pour éviter cette diffusion et les forcer à cheminer dans le sens initial, vers la toile T, cette toile est réunie au pôle positif de la pile P, dont le pôle négatif est relié à la lame A. Le champ électrique alors créé entre A et T force les projectiles négatifs issus de A à cheminer au travers de l’air et, malgré le frottement qu’ils y éprouvent[1], jusqu’à la toile chargée positivement T. Il en résulte un courant d’intensité constante dans le fil de communication,
Fig. 18.
courant qui sera mesuré par le galvanomètre G. Sans entrer dans le détail, vous concevez que la mesure exacte de ce courant permet de calculer quelle charge négative se trouve contenue, sous forme de projectiles cathodiques, dans un centimètre cube de l’espace compris entre les deux plans, A, T.

Une enceinte (non représentée sur la figure) contient ces deux lames ; l’air de l’enceinte est saturé de vapeur d’eau, mais non sursaturé : il reste limpide malgré l’existence de centres chargés. Mais si on le détend brusquement, ce qui a pour effet connu de le sursaturer, la condensation deviendra possible. En effet, on voit aussitôt se développer un brouillard entre les deux lames A, T. Les gouttes qui forment ce brouillard ont chacune pour centre un des projectiles négatifs qui se trouvaient entre les deux plaques au moment de la détente. On cesse alors d’éclairer A, on rompt les communications avec la pile P, et on observe avec quelle vitesse descend le nuage de gouttelettes ainsi constitué. Cette vitesse de chute, d’autant plus faible que les gouttes sont plus petites, permet de calculer exactement, par application d’une formule connue, le diamètre des gouttes d’eau, donc le poids moyen de chaque goutte d’eau. On peut déterminer d’autre part (à la rigueur en pesant l’eau déposée à la fin de l’expérience) le poids total du brouillard formé[2], donc le poids des gouttes d’eau contenues à l’instant de la détente, dans chaque centimètre cube. Le quotient donnera le nombre de gouttes, et par suite de charges électriques, enfermées dans ce volume. Mais j’ai montré que l’on connaît la charge électrique totale contenue dans ce même volume[3]. On connaît donc le quotient c’est-à-dire la charge d’un projectile isolé.

On trouve ainsi, contrairement à ce que nous avions tout à l’heure considéré comme probable, que est sensiblement égal à la charge d’un projectile cathodique est égale à celle que transporte dans l’électrolyse un atome d’hydrogène.

Comme, d’autre part, il faut, si que Ainsi la masse d’un projectile cathodique, masse que nous appellerons désormais corpuscule, est seulement la millième partie de l’atome d’hydrogène.

Nous avons donc réalisé la division de l’atome en parties plus petites, et même beaucoup plus petites.

Tel est le résultat capital dû à J.-J. Thomson.

Il est remarquable que l’existence de ces corpuscules, grâce aux fortes charges électriques qu’ils transportent, est démontrée de manière plus directe que celle des atomes ou des molécules, pourtant beaucoup plus gros. Dans l’expérience de condensation des gouttes d’eau, on peut dire que chaque corpuscule, pris individuellement, a été isolé et atteint. En ce sens, l’existence des corpuscules a plus de certitude que celle même des atomes, et l’on peut dire que l’hypothèse corpusculaire, la dernière venue parmi les hypothèses moléculaires, est la seule qui se soit trouvée accessible à une vérification directe.

Ainsi nous savons partager un atome en deux morceaux ; mais les deux morceaux ne sont pas de taille comparable et l’un d’eux, le corpuscule, est très petit par rapport à l’atome. De même, nous partageons une maison en deux quand nous en enlevons une pierre, ou un gros livre en deux quand nous en déchirons une page.

Le petit morceau, le corpuscule, est chargé né-

  1. La vitesse forcée ainsi maintenue est faible et de l’ordre de 1 mètre par sec. dans un champ de 100 volts par cm.
  2. En réalité ce poids était calculé par application des lois de la détente.
  3. On tiendra compte, naturellement, du fait que la détente a diminué la densité électrique moyenne.