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M. JEAN PERRIN. — LES HYPOTHÈSES MOLÉCULAIRES.

meuvent dans l’eau salée. Tant qu’ils sont en présence, leurs actions électriques se neutralisent deux à deux, mais nous ne disposons pas de forces électriques suffisantes pour isoler une quantité appréciable de l’un d’eux.

De même nous pouvons maintenant comprendre comment les ions de sodium de l’eau salée ne décomposent pas l’eau. Du fait même qu’ils possèdent les charges électriques énormes, la façon dont ils attirent ou repoussent les molécules de l’eau ne doit pas être la même que celle des atomes ordinaires de sodium qui, eux, ne sont pas chargés. Ainsi toutes les objections sont levées.

Atomes d’électricité. — Enfin si l’on compare les charges électriques transportées par les différents ions, on arrive à ce résultat important que ces charges sont toutes des multiples entiers de la charge portée par l’ion hydrogène. Cette charge qui se trouve ainsi contenue un nombre entier de fois dans toute charge électrique transportable par un courant est, à cet égard, un véritable atome d’électricité. Sa valeur absolue est d’environ 10-20 coulombs. Cette valeur n’est déterminée qu’assez grossièrement. Au contraire, on a su mesurer avec beaucoup de précision le rapport de la charge, exprimée en coulombs, à la masse de l’ion qui la transporte exprimée en grammes. La plus grande valeur de ce rapport réalisée pour l’ion hydrogène, est égale à 100 000.

DIVISION DE L’ATOME EN CORPUSCULES

Tel était, il y a quatre ou cinq ans, l’état des hypothèses et des théories moléculaires. Depuis, sous l’influence des remarquables découvertes relatives aux rayons cathodiques et aux rayons X, découvertes qui semblent sur le point de renouveler l’édifice entier de la physique, un progrès considérable a été fait.

Beaucoup d’entre vous connaissent déjà un peu les rayons cathodiques ; rappelons seulement leurs propriétés essentielles.

Si, dans une ampoule en verre où pénètrent deux électrodes métalliques, on fait un très bon vide, de l’ordre du millionième d’atmosphère (ce qui laisse encore 50 milliards de molécules par millimètre cube) et si on fait passer la décharge électrique entre les électrodes réunies aux pôles d’une bobine de Ruhmkorff, on observe que cette décharge diffère extrêmement de l’étincelle blanche et brillante qu’on observe sous la pression ordinaire. Certaines régions de la paroi sont illuminées de vives lueurs vertes, que vous voyez en ce moment. Un grand nombre de substances, une fois placées à l’intérieur de l’ampoule, s’illuminent de même en prenant une couleur variable suivant leur nature, couleur qui, par exemple, est bleue pour le cristal, jaune pour l’yttria, rouge pour le rubis.

Si l’on place un objet quelconque entre l’électrode chargée négativement, qu’on appelle cathode, et une des régions fluorescentes, une silhouette de l’objet se dessine sur le fond clair de la fluorescence. Ici, vous voyez se projeter sur la fluorescence verte de l’ampoule l’ombre d’une croix d’aluminium placée dans l’ampoule. Il y a donc des rayons qui émanent de la cathode : ce sont les rayons cathodiques, découverts en 1869 par l’Allemand Hittorf[1].

J’approche du tube un aimant : aussitôt l’ombre de la croix se déplace ; le déplacement est de sens inverse quand j’échange la position des pôles en retournant l’aimant : les rayons cathodiques sont déviés par l’aimant.

Enfin, ils sont électrisés négativement[2], comme on peut s’en assurer par exemple en faisant passer un pinceau de rayons cathodiques au voisinage d’un fil électrisé. Le pinceau est attiré si le fil est électrisé positivement, repoussé si le fil est électrisé négativement[3].

Bref, les rayons cathodiques peuvent être assimilés à une pluie de projectiles électrisés négativement, chassés par la cathode, elle aussi, chargée négativement.

Chacun des projectiles a une masse sa charge étant il est intéressant de comparer ces valeurs aux valeurs et rencontrées dans l’électrolyse. Cette comparaison, avec les conséquences qu’elle a comportées, a été principalement l’œuvre du physicien anglais J. J. Thomson[4]. On conçoit que la déviation des rayons par l’aimant, ou leur déviation par les corps électrisés dépendra de de et aussi de la vitesse des rayons. Le calcul complet montre que chacun des deux phénomènes donne une relation entre la vitesse et le rapport Elles permettent donc de déterminer ces deux quantités.

La vitesse est variable suivant les ampoules, le degré de vide, la nature de l’excitation électrique ; c’était presque évident a priori : une vitesse due à la répulsion entre les projectiles cathodiques et la cathode doit nécessairement dépendre de la force de cette répulsion. Mais le résultat frappant est dans la

  1. Pogg, Ann. 136, 1, 1869.
  2. Jean Perrin, Comptes rendus, 121, 1130 ; 1895.
  3. J’ai montré (Ann. de Ch. et Phys., août 1897) à quelles conditions précises cette expérience est possible et significative ; elle est susceptible de faire une très belle expérience de cours.
  4. Philosoph. Magazine, années 1897-1899.