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M. JEAN PERRIN. — LES HYPOTHÈSES MOLÉCULAIRES.

très près d’une de ces molécules : alors il y a un choc, et les deux molécules, rebondissant l’une sur l’autre, repartent dans de nouvelles directions. On suppose enfin que les molécules sont parfaitement élastiques et que, tant que la température est maintenue constante, elles ne perdent pas d’énergie dans leurs chocs innombrables, soit entre elles, soit avec les parois de l’enceinte, conservant ainsi la même vitesse moyenne, fixée en même temps que la température, et ne dépendant en rien de la densité du gaz ; c’est-à-dire de l’écartement des molécules.

Nous aurons une représentation, médiocre, de cette hypothèse, en imaginant un grand billard sur lequel rouleraient en tous sens un grand nombre de billes. Seulement, et c’est pour cela que ce modèle est médiocre, les billes et les bandes du billard ne sont pas parfaitement élastiques, en sorte que les mouvements s’arrêteraient bientôt. Nous pouvons cependant apercevoir sur ce modèle un résultat intéressant. Les billes s’entre-choquent les unes les autres, mais elles heurtent aussi les bandes du billard ; supposons que l’on ait retiré les vis qui maintiennent immobile un des côtés du cadre, une des bandes ; cette bande sera repoussée par les billes qui la heurtent ; pour la maintenir au repos, il faudra exercer un certain effort : nous comprenons dès lors pourquoi, pour maintenir au repos un piston découpé dans la paroi de l’enceinte qui renferme un gaz, il faut exercer un effort : cet effort est nécessaire pour contre-balancer les chocs des molécules contre le piston.

Ainsi la pression qu’un gaz exerce sur chaque centimètre carré de l’enceinte qui le contient est due aux chocs des molécules sur cette portion de paroi. On voit immédiatement qu’elle doit doubler quand le nombre de ces chocs par seconde devient double ; on se rend compte que ce nombre de chocs doublera si on double le nombre de molécules contenues dans chaque centimètre cube, c’est-à-dire la densité du gaz : la loi de Mariotte est retrouvée, comme conséquence des hypothèses cinétiques.

Lorsqu’on effectue en toute rigueur le raisonnement qui relie la pression au nombre des chocs, on est d’ailleurs payé de sa peine en voyant que ce raisonnement même permet de calculer la vitesse moyenne des molécules, à la température considérée. Je me bornerai ici à vous donner le résultat de ce calcul. Les molécules de l’hydrogène, qui sont celles qui vont le plus vite, ont à 0° une vitesse d’environ 1 840 mètres par seconde ; les molécules de l’oxygène et de l’azote, qui composent l’air, ont une vitesse beaucoup plus petite, mais qui est encore, pour chacun de ces deux gaz, de l’ordre de ½ kilomètre par seconde. Ainsi les molécules qui forment l’air que nous respirons ne vont guère moins vite qu’un boulet de canon. Leur libre parcours entre deux chocs successifs reste d’ailleurs extrêmement petit, en sorte qu’une molécule donnée, sans cesse rejetée dans tous les sens, met toujours un temps considérable à s’écarter notablement de sa position initiale.

La moyenne des longueurs que parcourt ainsi, en ligne droite, une molécule entre deux chocs successifs est ce qu’on nomme le libre parcours moyen. Cette longueur moyenne L joue un rôle important dans la théorie cinétique des gaz. Je vais essayer de vous montrer comment on a pu arriver à la calculer. Mais, pour cela, je devrai faire appel à une notion qui sera nouvelle pour beaucoup d’entre vous, bien qu’elle corresponde à des expériences simples.

Frottement intérieur. — Vous savez tous que, lorsqu’un solide glisse sur un autre, lorsqu’un livre glisse sur une table, par exemple, la vitesse du solide en mouvement décroît graduellement et devient nulle, à moins qu’on n’entretienne artificiellement le mouvement : on dit que les deux solides ont frotté l’un contre l’autre.

De même, quand un fluide est partagé en couches parallèles, glissant les unes sur les autres avec des
Fig. 16.
vitesses différentes, ces couches frottent les unes sur les autres et leurs vitesses s’égalisent bientôt, par ce frottement intérieur, si le fluide est abandonné à lui-même.

Un exemple précis fera mieux comprendre la nature de ce frottement. Imaginons un disque horizontal H supporté en son centre par une tige verticale T (l’axe d’une petite dynamo) qui fait tourner ce disque d’un mouvement uniforme.

Au-dessus du disque H, se trouve un second disque horizontal H′, suspendu en son centre par un fil métallique F. Les deux disques sont supposés