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M. LOUIS DELMAS. — L’OPTOTHÉRAPIE.



donnée qui ne paraissait pas avoir encore suffisamment frappé l’esprit des observateurs, Brown-Séquard fut rationnellement amené à conclure, d’abord en théorie, puis expérimentalement, que le rôle des glandes séminales dépassait les limites traditionnelles qui leur étaient restrictive ment attribuées. Elles devaient être, de toute nécessité, le foyer actif et mystérieux, d’une élaboration spéciale, non moins indispensable à la conservation de l’individu que leur sécrétion naturelle l’est à celle de l’espèce. Mais si la réalité de cette sécrétion interne s’imposait avec la lumineuse évidence d’un axiome physiologique, sa nature, sa composition, son mode d’action et ses régions tributaires refusaient obstinément de se laisser pénétrer. C’est ainsi que las de poursuivre l’isolement de ce principe insaisissable, pour en sauvegarder sûrement l’efficacité, l’illustre biologiste prit le judicieux parti d’expérimenter les effets directs du produit total de la glande.

Telle a été l’exacte genèse de la « médication orchitique » dont on ne parle plus maintenant qu’à titre dé simple curiosité historique, tant est rapide le vertigineux tourbillon qui entraine les. derniers jours scientifiques de notre xixe siècle. Destinée tout d’abord à jouer le rôle de panacée quasi-surnaturelle, elle subit presque aussitôt lesmécomptes de ses exorbitantes prétentions. Déjà, en 1891, c’est-à-dire au bout de deux ans à peine d’expérimentation, son auteur commençait à douter lui-même de l’exclusivisme de cette influence régénératrice. De concert avec son préparateur d’Arsonval, il était irrésistiblement conduit par de nouvelles constatations à reconnaître que « chaque tissu, et plus généralement chaque cellule de l’organisme sécrète pour son propre compte des produits des ferments spéciaux qui, versés dans le sang, viennent influencer, par l’intermédiaire de ce liquide, toutes les autres cellules ainsi solidaires les unes des autres par un mécanisme autre que le système nerveux[1] ». On ne pouvait plus clairement définir l’étroite et puissante cohésion qui maintient, à notre insu, l’énergie autant que l’unité d’efforts et de but de chacun de ces infiniment petits dont notre corps représente le merveilleux et invariable assemblage. Vrais points perdus en apparence dans l’énormité relative de notre masse, mais qui n’en constituent pas moins individuellement autant d’organes autonomes doués d’une prodigieuse activité vitale. C’est à ces inépuisables foyers d’échanges biologiques qu’est dévolue la providentielle mission d’annihiler sans relâche, par absorption ou par transformation, tous les produits nuisibles, venus du dedans ou du dehors, et d’élaborer avec une égale continuité de travail tous les éléments nécessaires à l’entretien de la vie. A la première de ces deux grandes modalités physiologiques qui synthétisent et dirigent dans une double voie les fonctions multiples de la cellule, ressortissent les attributs spéciaux de la « phagocythose » et du « pouvoir antitoxique ». Nous ne pouvons que mentionner simplement ici ces deux incomparables moyens de sauvegarde que la nature nous a si libéralement prodigués contre les incessantes agressions microbiennes et leurs dangereux apports. Mais nous croyons devoir rappeler que nous en avons déjà exposé, dans une autre grande publication[2], le sommaire quoique très suffisant aperçu, auquel nous nous permettrons d’adresser le lecteur désireux de connaître plus amplement ce passionnant sujet. Les conséquences naturelles de ces révélations expérimentales n’ont pas tardé à s’offrir d’ellesmêmes aux logiques, déductions des observateurs. En effet, les sécrétions intimes de la cellule étant si manifestement indispensables au fonctionnement normal de l’économie, et, d’autre part, le système glandulaire en général, abstraction faite de ses nombreuses spécialités, se trouvant anatomiquement le plus riche en éléments cellulaires, il devenait de toute évidence qu’une glande quelconque ne pouvait exclusivement détenir un aussi précieux privilège. Et l’on constata bientôt que, en réalité, chacun des viscères, dont on contrôlait dans ce but les aptitudes propres, donnait invariablement, quoique à des degrés divers, les preuves de sa participation à l’œuvre latente et ininterrompue de la revivification organique. C’est ainsi que ces trois dernières années ont suffi, sous l’entraînante impulsion de ce mot d’ordre universel, à mettre en lumière, dans la succession chronologique ci-après, les propriétés stimulantes des sécrétions internes : du corps thyroïde, des ovaires, du pancréas, des capsules surrénales, de la substance nerveuse, de la moelle osseuse, du thymus, de la prostate, du foie, de la rate, des poumons, de la muqueuse intestinale et du corps ciliaire.

Admirable prévoyance de la nature qui, selon sa tutélaire coutume, nous gardait de la sorte, en réserve et au plus près de nos besoins, une féconde mine de ressources curatives étroitement confondues avec celles de notre alimentation fondamentale et traditionnelle. Simple affaire de goût et de préparation culinaire. Nous donnerons plus loin, au cours d’une revue d’ensemble à la fois complète et rapide, l’analyse séparée des indications spéciales et du mode d’emploi individuel de ces singuliers agents médicamenteux qui constituent l’essence même de notre complexe organisation.

  1. Archives de médecine, 1891.
  2. Nouvelle Revue, avril 1898.