Page:Revue scientifique (Revue rose), série 4, année 37, tome 14, 1900.djvu/71

Cette page a été validée par deux contributeurs.
68
Mme CURIE. — LES NOUVELLES SUBSTANCES RADIOACTIVES.


différer autant du baryum que le baryum du strontium. Pour établir chimiquement l’existence d’un élément, on se base aujourd’hui sur l’étude du spectre de cet élément et de son poids atomique.

L’étude complète d’un spectre est un travail qui demande une connaissance très approfondie de la spectroscopie et une grande habitude. M. Demarçay, dont la grande compétence en spectroscopie est connue, a bien voulu s’occuper de l’étude spectrale de nos substances, ce dont nous ne saurions trop le remercier. Il nous a rendu l’immense service de nous apporter une certitude, basée sur une méthode scientifique qui a fait ses preuves, alors que nous étions encore dans le doute sur la valeur de notre propre méthode de recherches.

M. Demarçay a étudié successivement divers échantillons de nos substances. En photographiant les spectres des chlorures de baryum radifères de plus en plus radioactifs, il a pu suivre la naissance et le développement d’un spectre caractéristique qui accompagnait celui du baryum et qui ne pouvait appartenir qu’à un élément inconnu. Ce spectre, dans les derniers échantillons étudiés, a une importance comparable à celle du spectre du baryum, les deux éléments semblent donc se trouver dans cet échantillon en quantité comparable.

J’ai déterminé le poids atomique du métal dans le chlorure de baryum radifère en le comparant au poids atomique du baryum inactif. En faisant l’expérience exactement dans les mêmes conditions, j’ai trouvé que le baryum radifère avait un poids atomique plus fort que le baryum ordinaire et d’autant plus fort que l’activité est plus grande. Le dernier échantillon étudié m’a donné le nombre 146 pour le poids atomique du baryum radifère, tandis que 138 est celui du baryum ordinaire.

L’existence du radium comme élément nouveau semble donc définitivement établie. Il est à prévoir que l’isolement du radium ne présentera pas de difficultés autres que le prix de revient du traitement de la matière première qui est malheureusement très élevé.

Quant au polonium et à l’actinium, M. Demarçay n’a trouvé aucune raie pouvant les caractériser ; il est possible que la concentration ne soit pas encore suffisante pour ces substances ou bien que la méthode spectroscopique dans ce cas ne soit pas sensible.

Voyons maintenant quelles sont les propriétés des nouvelles substances radioactives. Nous savons déjà qu’elles sont jusqu’à cent mille fois plus actives que l’uranium pour rendre l’air conducteur de l’électricité.

Les rayons émis par les nouvelles substances radioactives peuvent comme les rayons uraniques traverser diverses substances solides ; mais il y a une différence énorme dans leur pouvoir pénétrant. Les rayons du polonium sont très peu pénétrants, ils ne traversent que des lames très minces et ne se propagent dans l’air qu’à la distance de quelques centimètres. Les rayons du radium sont incomparable­ment plus pénétrants ; leur action dans l’air se fait sentir à plus d’un mètre de distance, et ils traversent quelques centimètres de plomb ou d’autre substance solide.

Les actions photographiques du polonium, du radium et de l’actinium sont très énergiques. Au voisinage de ces substances, une plaque photographique enveloppée de papier noir est impressionnée presque instantanément ; à une certaine distance le polonium n’agit pas ; mais avec le radium, on peut à la distance d’un mètre obtenir des impressions photographiques et des radiographies.

Les rayons émis par le polonium, le radium et l’actinium peuvent exciter la fluorescence. Voici comment l’expérience peut être disposée. On recouvre la substance radioactive d’un écran d’aluminium très mince et on place par-dessus du platinocyanure de baryum ou un autre sel fluorescent. Dans l’obscurité on verra le platinocyanure s’illuminer en face de la substance active.

Tous les composés radifères sont spontanément lumineux. Cette luminosité est faible pour le sulfate et le carbonate ; elle est beaucoup plus forte pour le chlorure et le bromure quand ceux-ci sont parfaitement secs. Le radium reste constamment lumineux, même quand il est conservé dans l’obscurité complète pendant plus d’une année. C’est le premier exemple d’un corps qui émet spontanément de la lumière d’une façon permanente.

Les rayons du radium colorent le verre et la porcelaine en brun ou en violet suivant la nature du verre. Cette coloration peut pénétrer profondément dans le verre, elle est permanente, et ne disparaît pas quand on retire le radium. On peut ainsi au moyen du radium et d’écrans opaques faire des espèces de radiographies sur verre. Les rayons du radium agissent chimiquement sur le platinocyanure de baryum et le transforment en la variété brune moins lumineuse. Ils colorent aussi le sel gemme et d’autres sels alcalins. Ils sont donc susceptibles de produire des actions chimiques.

L’air ionisé par les rayons cathodiques ou les rayons de Röntgen possède la propriété de condenser la vapeur d’eau sursaturée, telle qu’elle s’échappe d’une chaudière par un trou étroit. Cette expérience réussit aussi avec le radium. Aussitôt qu’on approche le radium, on voit apparaître un nuage blanc qui indique la formation de gouttelettes d’eau dans le jet de vapeur.

Enfin les rayons du radium diminuent la distance