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Mme CURIE. — LES NOUVELLES SUBSTANCES RADIOACTIVES.


contenant de l’oxyde d’urane, qui étaient quatre fois plus actives que l’uranium métallique ; la chalcolite, phosphate cristallisé d’urane et de cuivre, était deux fois plus active que l’uranium ; c’était contradictoire avec les résultats de mon étude d’après laquelle aucune substance n’aurait dû se montrer plus active que l’uranium ou le thorium. Pour éclaircir ce point, j’ai préparé de la chalcolite artificielle par le procédé de Debray, en partant de produits purs ; cette chalcolite artificielle avait une activité toute normale, étant donnée sa composition ; elle était deux fois et demie moins active que l’uranium.

Il semblait donc probable que si la pechblende et la chalcolite naturelle ont une activité si grande, c’est que ces minéraux contiennent en petite quantité une matière fortement radioactive qui n’est ni l’uranium ni le thorium ni aucun élément actuellement connu.

M. Curie et moi, nous nous sommes proposés d’extraire cette substance de la pechblende, et nous sommes en effet arrivés à montrer que l’on peut par des procédés purement chimiques retirer de la pechblende des substances qui ont une activité 100 000 fois plus grande que celle de l’uranium.

Notre unique guide dans cette recherche était la radioactivité et voici comment nous nous en servions. On mesurait l’activité d’un certain produit ; on effectuait sur ce produit une séparation chimique, on mesurait l’activité de tous les produits obtenus, et on se rendait compte si la substance active cherchée était restée intégralement avec l’un d’eux ou bien si elle s’était séparée entre eux et dans quelle proportion. On avait ainsi une indication qui était comparable jusqu’à un certain degré à celle que pourrait fournir l’analyse spectrale.

En procédant ainsi, nous avons trouvé tout d’abord que le bismuth que l’on retire de la pechblende contient en très petite quantité une substance fortement radioactive qui est voisine du bismuth par ses propriétés et l’accompagne dans ses réactions. Nous avons appelé cette substance polonium. Nous n’avons pas pu encore la séparer du bismuth, mais nous obtenons du bismuth de plus en plus riche en polonium par l’un des procédés suivants :

1o En précipitant une solution de chlorures très acide par l’hydrogène sulfuré, les sulfures précipités sont considérablement plus actifs que ceux qui restent dissous ;

2o En précipitant par l’eau une solution acide d’azotates, le sel précipité est beaucoup plus actif que le sel resté dissous.

En continuant nos recherches, nous avons, en collaboration avec M. Bémont, trouvé une deuxième substance très fortement radio-active qui accompagne le baryum dans la pechblende et en a les propriétés. Nous avons donné à cette substance le nom de radium. Pour concentrer le radium nous soumettons le chlorure de baryum radifère à une cristallisation fractionnée ; les cristaux qui se déposent sont beaucoup plus actifs que le sel qui reste dissous. Enfin une troisième substance fortement radioactive a été trouvée dans la pechblende par M. Debierne qui lui a donné le nom d’actinium. Cette substance est voisine du thorium qu’elle suit dans ses réactions.

Toutes les trois substances radioactives nouvelles se trouvent dans la pechblende en quantité absolument infinitésimale. Pour arriver à les obtenir à l’état de concentration actuel, nous avons été obligés d’entreprendre le traitement de plusieurs tonnes de résidus de minerai d’urane. Le gros traitement se fait dans l’usine de la Société centrale des produits chimiques, après quoi vient tout un travail de purification et de concentration. Nous arrivons ainsi à extraire de ces milliers de kilogrammes de matière première quelques décigrammes de matières qui sont prodigieusement actives par rapport au minerai dont elles proviennent. Il est bien évident que l’ensemble de ce travail est long, pénible et coûteux.

Aucune des nouvelles substances radioactives n’a encore été isolée. Croire à la possibilité de leur isolement revient à admettre que ce sont des éléments nouveaux. C’est cette opinion qui a guidé notre travail depuis le début ; elle était fondée sur le caractère atomique évident de la radioactivité des matières qui faisaient l’objet de notre étude. Cette propriété si tenace, qui ne se laissait point détruire par le très grand nombre des réactions chimiques effectuées, qui dans des réactions comparables suivait toujours le même chemin et se manifestait avec une intensité bien en rapport avec la quantité de matière inactive retirée, cette propriété ne pouvait assurément pas être accidentelle ; elle devait tenir à la matière qu’elle accompagnait si fidèlement et en être un caractère absolument essentiel. Dans notre opinion, le baryum radioactif était donc assurément autre chose que le baryum ordinaire, de même que le polonium n’était pas du bismuth. D’autres preuves de nature purement chimique sont venues appuyer notre opinion. Nous n’avons pas trouvé, il est vrai, de réactions chimiques permettant de faire une séparation absolue du baryum et du radium, du polonium et du bismuth, et ces réactions, les eussions-nous connues, que nous n’aurions pas pu nous en servir, parce que la quantité de matière que nous voulions séparer était trop faible. Par contre, nous avons mis en évidence des différences de solubilité qui nous ont permis d’établir pour nos substances des méthodes de concentration d’une régularité absolue. On sait combien sont faibles les différences de réaction entre les éléments voisins, et à ce point de vue le radium semble