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Mme CURIE. — LES NOUVELLES SUBSTANCES RADIOACTIVES.


cette énergie est fournie par des piles qu’il faut renouveler ou des machines que l’on fait marcher en dépensant du travail. Mais lors de l’émission uranique aucune modification ne se produit dans cette matière qui rayonne de l’énergie, très faiblement à la vérité, mais d’une façon continue. L’uranium n’éprouve aucun changement d’état appréciable, aucune transformation chimique visible, il demeure, en apparence tout au moins, identique à lui-même, la source de l’énergie qu’il dégage reste introuvable, — et c’est là l’intérêt profond du phénomène, — c’est là peut-être un désaccord avec des lois fondamentales de la science considérées jusqu’ici comme générales.

En présence de ce phénomène si bizarre de l’émission de rayons uraniques, il était naturel de se demander si les composés d’urane sont les seuls corps émettant ces rayons que l’on appelle généralement rayons de Becquerel. Les recherches sur cette question ont montré que le thorium et ses composés jouissent de propriétés analogues. Ces recherches étaient faites par la méthode électrique, c’est-à-dire la méthode qui consiste à mesurer la conductibilité acquise par l’air sous l’influence de la substance active. Voici un dispositif simple pour des mesures de ce genre.


Fig. 1.

Un condensateur AB est formé de deux plateaux A et B (fig. 1). Le plateau B est relié au sol par un fil métallique. Le plateau A est relié métalliquement au bouton d’un électroscope à feuilles d’or dont la cage est reliée au sol. Chargeons le bouton de l’électroscope, les feuilles d’or divergent, et si l’électroscope est bien isolé, elles se fixent dans une certaine position. Cela est possible parce que l’air qui baigne les feuilles, le bouton et le plateau A qui en fait partie est isolant. Mais plaçons sur le plateau B une couche de substance active formée par un composé d’urane préalablement pulvérisé ; les rayons émis rendent l’air légèrement conducteur : l’air n’oppose donc plus une résistance absolue au passage de l’électricité ; la charge électrique de l’électroscope s’écoule lentement à terre par l’intermédiaire de l’air situé entre les deux plateaux, — et les feuilles d’or se rapprochent lentement. Plus la substance est active, et plus ce courant électrique de décharge est fort, plus les feuilles tombent vite. On peut mesurer le courant en disposant, par exemple, derrière les feuilles d’or une échelle graduée et comptant le nombre de divisions dont se déplace l’une des feuilles pendant un temps donné. On saura ainsi que telle substance décharge l’électroscope plus vite que telle autre ; on saura aussi combien de fois plus vite, et on pourra mesurer l’activité relative des substances.

Pour faire des mesures très précises, j’ai employé un dispositif électrométrique plus compliqué et plus sensible, mais toujours basé sur le même principe.

L’air qui est rendu conducteur par l’action des rayons cathodiques, des rayons de Röntgen ou des rayons de Becquerel n’est pas à l’état ordinaire ; ses propriétés sont modifiées. D’après la théorie de J.-J. Thomson, les molécules de l’air sont en partie dissociées comme dans l’électrolyse ; une molécule se décompose en deux sous-molécules ou ions qui ont des charges électriques égales et de signe contraire. Les ions sont libres de se mouvoir dans l’air ; sous l’influence du champ électrique qui s’exerce entre les deux plateaux A et B ils se mettent en mouvement ; les ions positifs sont attirés par le plateau chargé négativement, et détruisent sa charge ; de même, la charge positive du second plateau est détruite par les ions négatifs ; c’est ainsi que l’électroscope se décharge progressivement.

Pour abréger, j’appellerai radioactives les substances qui émettent des rayons de Becquerel.

J’ai étudié par la méthode électrique la radioactivité d’un très grand nombre de substances parmi lesquelles se trouvaient les composés de presque tous les corps simples actuellement connus. Tous les corps renfermant de l’uranium ou du thorium sont radioactifs, et cela, en général, d’autant plus qu’ils contiennent une plus forte proportion de ces métaux. La radioactivité est donc une propriété qui accompagne l’uranium et le thorium à tous les états, — c’est une propriété atomique de ces éléments, et elle est toujours diminuée par l’addition de matières étrangères inactives.

Certains autres corps émettent des rayons analogues aux rayons de Becquerel, mais l’émission n’a pas le caractère atomique. Ainsi le phosphore humide blanc est actif, mais le phosphore rouge et les combinaisons du phosphore ne le sont pas. Le phosphore n’est donc pas un corps radioactif à la façon qui nous occupe ici.

Parmi les substances dont j’ai mesuré la radioactivité se trouvaient des minéraux. Certains d’entre eux se sont montrés radioactifs. Cela n’avait rien d’étonnant, puisque ces minéraux actifs contenaient tous de l’uranium ou du thorium, ainsi par exemple la pechblende, la chalcolite et d’autres. Mais ce qui était étonnant, c’était le degré de l’activité de certains minéraux. Ainsi j’ai eu des pechblendes, minerais