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M. D. BELLET. — L’IMMIGRATION CHINOISE AUX ÉTATS-UNIS.

chez nous avec les hyènes, le lion, l’hippopotame, etc. En ce cas, il serait tout simple qu’elle se retrouvât, de nos jours, dans le nord-ouest de l’Afrique et dans les îles où elle était le plus à l’abri du croisement[1]. » Les arguments que nous venons de faire valoir lui ont paru probants, et, avec la bonne foi dont il ne se départit jamais, il n’hésita pas un instant à se rallier à notre manière de voir.

L’hypothèse d’une migration vers le sud de la race de Cro-Magnon est, en effet, la seule qui puisse expliquer les faits que nous venons de relater. Dans le cours de ce long voyage, les émigrants ne furent pas sans se croiser avec quelques-unes des populations qu’ils trouvèrent sur leur chemin. C’est ce qui nous fait comprendre comment, au delà des Pyrénées, le type ancien de la Vézère se montre à nous généralement un peu altéré. Certains individus conservèrent pourtant jusqu’au bout la pureté de leur type primitif.

Sur toute la route parcourue, nous trouvons des témoins de la migration : les uns sont restés au point de départ et ont transmis leurs caractères, de génération en génération, jusqu’à leurs descendants actuels ; les autres se sont établis en Espagne, où leur influence s’est fait sentir du nord au sud. En Afrique, beaucoup d’individus de l’époque romaine et, de nos jours, certains Kabyles ont conservé le type des hommes quaternaires de la Dordogne ; aux Canaries, enfin, un bon nombre d’habitants modernes offrent encore tous les caractères des troglodytes de la Vézère.

De tout ce qui précède, nous nous croyons autorisé à tirer deux conclusions :

1o L’Atlantide de Platon n’est qu’une fiction.

2o Au lieu d’être les ancêtres des hommes de Cro-Magnon, les anciens habitants des îles de l’Atlantique n’en sont que les descendants.

Verneau.



VARIÉTÉS

L’immigration chinoise aux États-Unis.

Il y a quelques semaines déjà, plusieurs journaux ont annoncé que le gouvernement des États-Unis de l’Amérique du Nord venait de signer avec la Chine un traité interdisant l’immigration des Célestes sur le territoire de la Confédération. Renseignements pris, un traité a bien été signé à Washington entre le ministre de Chine et le secrétaire d’État, et cela le 12 mars dernier ; mais le Sénat a cru devoir n’y donner son approbation qu’avec certaines modifications, et les rectifications définitives n’ont pas été encore échangées.

Cependant, comme il n’y a plus là maintenant qu’une formalité diplomatique, nous pouvons dès à présent aborder la question et l’étudier dans son passé comme dans ses conséquences, quitte à y revenir plus tard, au moment où le texte du nouveau traité sera publié.

La question est pleine d’intérêt et d’actualité, en présence des mesures prohibitives qui se préparent en Australie aussi bien que dans l’Amérique du Nord. Et il ne s’agit pas ici de l’envahissement d’une seule contrée par un trop-plein de population, mais bien d’une nouvelle invasion plus terrible que celle de Gengis-Khan, parce qu’elle est pacifique ; c’est la lutte de la race jaune contre la race blanche, qu’elle tente d’engloutir sous la multitude de ses enfants ; la lutte économique de ceux qui peuvent produire à peu de frais, ayant peu de besoins et se contentant d’un salaire minime, contre ceux pour lesquels la civilisation a créé des besoins multipliés et coûteux ; lutte qui, naturellement, se terminerait à l’avantage des hommes jaunes, si les blancs ne recouraient à la violence pour chasser leurs dangereux concurrents.

Il y a relativement peu d’années que l’élément chinois connaît la route des États-Unis. Si nous consultons, en effet, les statistiques publiées par le gouvernement de Washington, nous voyons 8 Célestes arrivés en 1835, 2 en 1841, 4 en 1842 et une moyenne de 4 ou 5 pendant les années 1843-1850. En 1848 même, quand eut lieu la découverte de l’or en Californie, à cette époque où le monde entier envoya une foule de ses enfants sur les placers, où ce fut comme une folie générale s’abattant sur tous, faisant quitter à celui-ci sa plume de journaliste, à celui-là sa trousse de médecin, pour se précipiter sur la pioche du mineur, la race jaune ne se laissa pas d’abord entraîner dans le mouvement, et bien peu de Chinois gagnèrent les champs d’or, sauf peut-être quelques-uns qui arrivèrent sur les navires apportant des objets d’alimentation aux enfants perdus de la civilisation répandus sur les bords du Sacramento : à cette époque, la Californie ne produisait rien que de l’or, et les mineurs n’auraient point perdu leur temps à cultiver des carottes quand ils pouvaient ramasser l’or à la pelle. Aussi se nourrissait-on de conserves et d’aliments apportés de Chine ou d’ailleurs.

Mais, en 1842, l’Angleterre avait forcé la Chine à signer un traité ouvrant une partie de ses ports au commerce et à la civilisation européennes ; en 1844, les États-Unis en obtenaient autant ; puis, en 1858, la France et l’Angleterre s’unissaient contre le Céleste Empire et l’obligeaient à un nouveau traité ouvrant plus grande encore la porte aux Européens ; et le gouvernement de Washington, ne voulant pas être distancé, obtenait, en 1868, la libre entrée des Américains en Chine, moyennant quoi il s’engageait à garantir aux Chinois sur son sol le sort de la nation la plus favorisée. Un point à noter, c’est que celui qui avait négocié ce traité comme plénipotentiaire de la Chine était un Américain, Anson Burlingame, autorisé par son gouvernement à se mettre au service de cet empire. On ne songeait pas alors que ces portes, qu’on ouvrait de force, en même temps qu’elles permettaient l’entrée aux Européens, permettraient la sortie aux indigènes.

  1. De Quatrefages, l’Espèce humaine.