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M. VERNEAU. — L’ATLANTIDE ET LES ATLANTES.

c’est que, parmi ces sépultures, il en est de postérieures à l’occupation romaine : les médailles trouvées dans quelques-unes ne permettent pas de conserver le moindre doute à ce sujet. Il est assez admissible que les plus anciennes ne remontent pas très haut : tous dénotent un même degré de civilisation, et si « au Bou-Merzoug, les dolmens sont de plus belle apparence, cela tient, non au progrès de l’art, mais à la qualité des matériaux[1] ».

Il nous semble que les constructeurs de ces dolmens relativement récents du nord de l’Afrique ne sauraient être considérés que comme les descendants des individus de même type qui vivaient en Espagne aux époques de la pierre polie et du bronze et qui avaient dû fuir devant ces hommes se rapprochant « du type ligure » que M. Jacques a retrouvés en Andalousie. C’est aussi l’avis de MM. Siret qui sont arrivés à cette conclusion par la comparaison des industries. Nous sommes heureux de voir que la théorie que nous avons exposée dans plusieurs publications[2] reçoit de nouvelles adhésions et se trouve confirmée par de nouveaux faits.

Notons en passant que notre opinion concorde entièrement avec celle de l’éminent historien que nous citions tout à l’heure, le regretté Henri Martin. Il attribue, en effet, les monuments mégalithiques d’Algérie « aux Celtes primitifs, en prenant ce mot dans le sens où je l’entends, c’est-à-dire aux hommes blonds qui de la Gaule passèrent en Espagne, et de là sans doute en Afrique ».

Pour nous, ces Celtes primitifs aux cheveux blonds n’étaient autres que les hommes de Cro-Magnon : leurs derniers descendants, que nous avons pu étudier aux îles Canaries, présentent effectivement, avec tous les caractères physiques des chasseurs quaternaires de la Vézère, une chevelure blonde et des yeux bleus.

C’est aussi cette coloration de cheveux qu’offrent certains Kabyles que l’on rencontre disséminés çà et là, ceux, par exemple, de la tribu des Denhadja. « Ils se disent « fils de païens » et leurs traditions rapportent que la nécropole de Roknia, qui compte trois mille dolmens, est composée des tombes de leurs anciennes (Henri Martin). » Pour notre part, nous croyons à ces traditions des Denhadja ; nous pensons que lorsque les Romains vinrent occuper le pays et se mêler aux constructeurs de dolmens, une partie de ceux-ci, pour échapper aux croisements, se réfugia dans des endroits où ils se trouvèrent isolés et où ils purent conserver leurs caractères primitifs. Quelques-uns allèrent même fort loin : ils arrivèrent jusque dans les îles Canaries où ils rencontrèrent des conditions d’isolement qui leur permirent de garder presque pur le type de leurs vieux ancêtres de Cro-Magnon. Nos recherches ont, en effet, pleinement confirmé sur ce point celles de M. Hamy : le vrai Guanche offrait les caractères ethniques des hommes quaternaires de la Vézère.

On peut supposer aussi que les Guanches soient venus directement d’Espagne, à l’époque où une partie des hommes du type de Cro-Magnon quittaient ce pays pour gagner le nord de l’Afrique ; mais cette hypothèse nous paraît peu admissible, étant donnée la longueur du trajet qu’ils auraient eu à accomplir par mer. D’ailleurs, les épaves qu’ils ont laissées sur leur route doivent plutôt faire pencher vers l’idée d’une migration par terre ; à chaque pas, sur le chemin qu’ils ont dû parcourir, on trouve, en effet, des Berbers qui, d’après le peu que nous savons de leurs caractères physiques, ne sont pas sans parenté avec nos ancêtres quaternaires.

Pas plus que pour les constructeurs de dolmens de Roknia, nous ne connaissons l’époque exacte de l’arrivée des Guanches aux Canaries. Rien ne nous autorise à la reporter bien loin dans le passé ; tout ce que nous avons vu, pendant notre long séjour dans ces îles, nous fait penser qu’ils ne sont arrivés qu’à une époque assez peu éloignée de nous. Ce que nous croyons pouvoir affirmer, c’est que, en poussant les choses à l’extrême, on ne saurait faire remonter l’arrivée de l’homme dans l’archipel canarien à une époque antérieure à l’époque géologique actuelle. Nous avons vu, en effet, que ces îles étaient émergées depuis peu. À l’époque quaternaire, elles gisaient très probablement sous les eaux, puisqu’on n’y a jamais trouvé que des végétaux et des animaux terrestres exactement semblables à ceux qui y vivent de nos jours, et qu’en revanche on y rencontre des animaux marins qui se sont déposés au fond de la mer pendant l’époque glaciaire. Par conséquent, il nous est impossible d’admettre que l’homme ait pu y vivre à une époque ancienne. Nous ajouterons même que tous les débris humains que nous avons vus ont un aspect récent, ce qui s’explique tout naturellement au moyen de la théorie que nous venons d’exposer.

Nous ne pouvons nous refuser à rattacher à la même souche toutes ces populations qui présentent ce type si caractérisé de la race de Cro-Magnon ; nous sommes donc forcé d’admettre que cette race a accompli de grandes migrations. Après tout ce que nous venons de dire, nous ne saurions considérer les îles atlantiques comme son berceau, et nous avons eu la satisfaction de faire partager nos convictions à notre éminent maître, M. de Quatrefages. En 1877, il émettait l’idée que la race de nos chasseurs quaternaires n’était peut-être « qu’un rameau de population africaine, émigré

  1. Henri Martin, les Types indigènes de l’Algérie (Bull. Soc. anthrop., t. IV, 3e série, 1881).
  2. Voir, outre le mémoire cité, notre Rapport sur une mission scientifique dans l’archipel canarien (Arch. des Missions, 3e série, t. XIII).